Le Ring de Wagner voulu par Sir Georg Solti pour Decca revient dans l’actualité.

Prodige technique d’une nouvelle remasterisation qui vaut son pesant de cacahuètes. Car depuis 60 ans, l’intégrale de Georg Solti a quelque chose d’unique. Tout d’abord, le privilège d’avoir été la première enregistrée en studio, à Vienne, à la Sofiensaal, de 1958 à 1964, dans des conditions de prise de son spécialement étudiées pour recréer une véritable dramaturgie domestique.

Ici tous les ingrédients contribuent à la profondeur et à la résonance naturelle du son, grâce au travail titanesque du producteur visionnaire John Culshaw et d’un groupe d’ingénieurs du son talentueux (Gordon Parry, James Lock, Christopher Raeburn). Outre une restauration de quelques bandes détériorées, c’est à un vrai travail d’orfèvre que ce sont livrés les techniciens du Studio d’Abbey Road.
L’effet obtenu par la nouvelle transmission HD 2022 est des plus étonnant, la clarté du rendu sonore parfaitement équilibrée, la captation d’orchestre sidérante de pureté et de relief. Un véritable espace scénique a été créé derrière l’orchestre. On comprend mieux les préoccupations de Culshaw, qui conduisent à certains endroits à une véritable spatialisation (l’évolution aquatique de la fille du Rhin à distance, certains personnage entrant à distance, tel le géant Fafner) de l’action. Le trait est peut être poussé trop loin (l’écroulement du Walhala prête à rire, quelques trucages sympathiques aussi), certains effets sonores sont plus que superflus) mais on y croit et c’est l’essentiel. D’autant que la scène de la forge presque hollywoodienne vous cloue sur place et donne le frisson.

Vocalement on n’a jamais fait mieux. Sauf à Bayreuth pour l’intégrale Karl Bohm chez Philips en 1965. Le cast engagé regroupe le gratin du chant wagnérien de l’époque. Tous connaissent leur rôle sur le bout des doigts, et cela s’entend. C’est l’esprit d’équipe qui fait la force de ce Ring. Des bêtes de scène qui n’ont que faire de la sécurité des studios et se rient de l’endurance et de la cohérence dramatique. Parfois imités, jamais égalés, avec les restes glorieux d’une Flagstad en Fricka, ou les débuts fracassants de Crespin et King en Sieglinde et Siegmund. Joan Sutherland en Oiseau dans Siegfried offre le plus beau des ramages. Tout ici est luxe, calme et volupté guerrière. Une fête vocale à chercher ailleurs en vain. Chez Karajan/DGG c’est l’Orchestre la vedette, pas les chanteurs réduits à une simple symphonie avec voix. Plus tard viendront la tricherie ou le confort des micros.

Hans Hotter, immense à tous points de vue, chante un Wotan, gai et jouisseur dans l’Or du Rhin, puis monolithique et bouleversant en Maître des colères comme des tendresses dans la Walkyrie. Birgit Nilsson, vaillante, au chant coupant, écrasant, feu sous la glace, n’y va pas par quatre chemins et darde ses si et ut comme des javelots. En prime, une évolution de la vierge à la femme proprement époustouflante. Le trio de la vengeance avec la noirceur terrifiante du Hagen de Gottlob Frick alliée à la veulerie sournoise de Fischer-Dieskau (Gunther) reste un grand moment de stéréophonie démoniaque. La magistrale Immolation du Crépuscule des Dieux atteint des sommets d’incandescence inouïs. Comme pour mieux renvoyer ses consœurs à venir à leurs chères études. La Waltraute de Christa Ludwig semble faire de la figuration de luxe. Enfin, Wolfgang Windgassen reste cet inoubliable Siegfried de classe, d’élégance, visionnaire et lyrique, tout d’ampleur suicidaire, avec toujours cette clarté de diction à chercher en vain aujourd’hui. Les prestigieuses Filles du Rhin, les pétulantes Walkyries, les vertigineuses Nornes, le Dragon caverneux à souhait, sont certes parfois noyés dans le luxe orchestral et le sonic stage voulu par le Chef. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse !

Georg Solti enfin. Que de splendeurs étalées. Un Ring sonore et dramatique au plus haut point. Une fête orchestrale de tous les instants, dévastatrice, car Solti est homme de vision plus que de détails. L’architecture est d’une tension formidable, les rythmes, les couleurs comme arrachés à un tissu incandescent, presque brûlé. La Walkyrie transporte, le Crépuscule anéantit. Une vision grandiose et unificatrice toujours, bref un ensemble qui s’inscrit définitivement parmi les interprétations fondamentales de l’œuvre.

A prix doux pour un tel sommet de musique et d’opéra réunis, à acquérir ou découvrir rapidement.

Christian Colombeau

Der Ring des Nibelungen (Wagner) – Solti/Decca 478 8370
17 cds. Sans livret, texte  en anglais uniquement. En bonus 3cds de présentation et analyse de l’œuvre.

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