Prologue avec l’Or du RHIN
L’histoire commence avec la voix parlée de Brünnhilde, déjà présente dans l’Or du Rhin, où elle égrène ses souvenirs d’enfance, puis ceux de son adolescence. Remontant le fil de l’histoire, elle se remémore les récits que Wotan leur racontait quand ils étaient enfants.
Tel un conte pour enfants, on assiste à une fête d’anniversaire à laquelle assistent : Fricka (en tailleur Chanel), Donner et Froh avec des petits chapeaux pointus, Siegmund avec des cheveux longs et roux et une peau de bête, Freia en robe fleurie de jeune fille, traînant tout au long du spectacle 3 ballons, Wotan vêtu d’un manteau en peau d’ours (oversize !) offrant au petit Siegfried, petit garçon blondinet avec une couronne de papier doré sur sa tête, un petit théâtre de marionnettes, un petit dragon vert et une épée en bois. A cette fête d’anniversaire assiste également une petite fille blonde également, du même âge que Siegfried, Brünnhilde bien sûr, qui fouillera dans le coffre à jouets pour en sortir un masque de loup (allusion à Siegmund qui dit « Wolfe, der war mein Vater ».
Dans cet Or du Rhin (comme dans toute la tétralogie), le metteur en scène Benedikt von Peter ne se soucie pas du tout de la chronologie. Tout est anachronisme, anticipation, allusions, espièglerie parfois…
Pour le décor, il est réduit à une vaste structure de maison installée à gauche qui servira de Walhalla, et à droite un arbre énorme où se balance Brünnhilde, adolescente, présente sur le plateau tout au long de l’Or du Rhin, assistant à ce sac d’embrouilles avec les Géants, la bagarre avec Alberich. Elle verra également les trois sirènes (les filles du Rhin) sous la forme de grandes marionnettes, animées chacune par trois manipulateurs, un énorme crapaud…. Une table toute en longueur servira de plateau à tout faire (on verra par la suite).
Le théâtre moderne, sans charme mais avec une acoustique efficace, a voulu reproduire un son presque comme à Bayreuth. En effet, la salle n’a pas de fosse d’orchestre et on a placé l’Orchestre symphonique de Bâle et son chef Jonathan Nott sous la scène, sans visibilité autre que par un système de vidéo. Ainsi les chanteurs ne voient le chef que par le biais de cinq écrans. Ce n’est pas identique à la fosse de Bayreuth, mais le son arrive par des grilles au milieu de la scène, et on s’approche de l’effet fondu, mystérieux voulu par Richard Wagner, de sorte de mettre en valeur le jeu des acteurs et le texte des opéras.
L’effet acoustique est très intéressant, surtout dans la scène des Filles du Rhin, toutes les trois remarquables, en longue robe noire où l’on apprécie la richesse de couleur, le piquant bien rendu sous la baguette rapide, nerveuse et bien inspirée de Jonathan Nott, tel que le voulait Wagner. L’autre effet déconcertant provient de la voix d’Alberich que l’on entend non pas sortir du crapaud gigantesque, mais d’une voix chantée à gauche en hauteur.
La direction d’acteurs est extrêmement bien coordonnée et très efficace, dans une approche véritablement théâtrale. La conception particulière de la salle, la proximité des chanteurs-acteurs et des spectateurs implique un jeu très détaillé, notamment les mimiques de Wotan et lorsque le jeu devient trop exagéré (surtout Loge), le naturel des enfants sur scène suffit à équilibrer le jeu.
Wotan, personnage omniprésent qui au début apparaît comme « paternel » et conteur d’histoires, se révélera bien vite comme un être machiavélique, ne quittant jamais sa bouteille, ni sa lance, et toujours obsédé sexuel (d’où sa nombreuse progéniture). On le verra même disparaître, pendant cette fête d’anniversaire, sous la nappe de la table avec trois femmes opulentes, en robes à paillettes, les trois Nornes, et en remonter le pantalon sur ses chaussures…du plus mauvais goût.
Dans ce prologue, la distribution est dominée par Nathan Berg, un Wotan formidable, d’une grande autorité, de surcroît excellent dans la veulerie, la fourberie, la trahison, la cruauté du personnage. Sa voix a l’ampleur et la profondeur qu’exige le rôle mais en plus, il manie avec aisance le parler-chanter, accentuant avec esprit les subtilités du personnage, notamment dans la longue querelle avec Fricka chantée de manière remarquable et convaincante par Solenn’Lavanant Linke.
Les deux géants sont étonnants. Le baryton-basse Thomas Faulkner, aux phrasés remarquables, incarne un Fasolt, escogriffe maigrichon en salopette et cheveux longs filasses, tandis que Runi Brattaberg campe un Fafner à la corpulence d’un bûcheron en chemise écossaise.
Michael Laurenz, ténor de caractère, à la coiffure décolorée et costume jaune beurre, rusé à souhait, intrigant, sarcastique, sournois et manipulateur incarne un Loge de grande envergure. Karl-Heinz Brandt, est un excellent Mime, avec ses airs de vieil intellectuel craintif et malmené par Alberich, en surgissant du Nibelung. Andrew Murphy n’a peut être pas toute la noirceur qu’il faudrait au personnage d’Alberich, mais il a la qualité d’une voix proche de celle de Wotan, faisant bien ressortir derrière la cupidité et le désir de pouvoir, une humanité profonde. Le ténor lyrique et clair de Ronan Caillet (Froh) et le baryton chaleureux de Michael Borth (Donner) complètent cette distribution d’une grande homogénéité. L’apparition fragile d’Erda, dans de vilains oripeaux, est touchante, incarnée par Hanna Schwarz, dont la voix n’a rien perdu de son émotion, elle qui fut la Fricka de Patrice Chéreau, il y a cinquante ans….
Et pour conclure ce prologue, cet Or venu d’un Nibelheim, est posé en un amoncellement de plats, ciboires, moules à gâteaux, candélabres sur cette longue table, recouvrant le corps de la pauvre Freia en échange de sa liberté.
Un prologue fort bien réussi par l’implication des chanteurs-acteurs, d’un Orchestre Symphonique de Bâle de haut niveau, dirigé par l’excellent chef Jonathan Nott… en attendant le 1er jour, La Walkyrie.
Marie-Thérèse Werling
4 juin 2025
Direction musicale Jonathan Nott
Mise en scène : Benedikt von Peter avec la collaboration de Caterina Cianfarini
Scénographie : Natascha von Steiger
Costumes : Katrin Lea Tag
Lumières : Roland Edrich
Dramaturgie :Roman Reeger
Wotan : Nathan Berg
Alberich :Andrew Murphy
Loge : Michael Laurenz
Donner : Michael Borth
Froh :Ronan Caillet
Fricka :Solenn’ Lavanant Linke
Freia :Lucie Peyramaure
Mime :Karl-Heinz Brandt
Fasolt :Hubert Kowalczik
Fafner :Runi Brattaberg
Woglinde :Harpa Ósk Björnsdóttir
Wellgunde :Valentina Stadler
Flosshilde :Sophie Kidwell
Orchestre symphonique de Bâle
Dans cette première journée du RING de Benedikt von Peter, Brünnhilde, la fille préférée de Wotan a grandi, depuis l’Or du Rhin. A nouveau dans le noir, résonne la voix parlée de Brünnhilde. Tandis que des dessous de la scène monte le son à la fois puissant et invisible de l’ouverture menée à un rythme foudroyant par Jonathan Nott à la tête d’un Orchestre symphonique de Bâle excellent, on découvre au fond Wotan en train de fendre du bois au pied du frêne à grands coups de hache, tandis qu’au premier plan à gauche sont en train de festoyer (hydromel ou bière ?) huit Walkyries aux allures de rockeuses rassemblées autour d’un feu de camp, dont les flammes brûleront tout au long de cette première journée du Ring.
Ce sera ce thème du feu, que l’on verra en permanence durant ce Ring à l’instar de la rampe de flammes au seuil de la maison, ou de la flamme immense surgissant du trou d’entrée du Nibelheim – ce trou que Wotan a ouvert à grands coups de maillet dans l’Or du Rhin, et qui demeure béant. C’est d’ailleurs là que les Walkyries feront basculer les héros morts dans des sacs mortuaires en plastique. L’effet sinistre est garanti. Comme dans le Prologue, le public s’habitue à cette proximité avec les chanteurs-acteurs à portée de main du premier rang, surtout lorsque Wotan, toujours exceptionnellement interprété par Nathan Berg, est venu s’asseoir sur une chaise au bord de la scène et a continué ses ressassements mélancoliques, dans sa pauvre chemise froissée et son pantalon flasque, avec ses rides, ses cheveux broussailleux et ses yeux fatigués de dieu fragile et déboussolé.
© Ingo Hoehn
La mise en scène de Benedikt von Peter se poursuit comme dans le prologue avec les images irréelles, les anachronismes, les prémonitions, dans une manière de temps immobile, comme si toutes les époques du Ring cohabitaient dans un même espace-temps. Une Brünnhilde, enfant, adolescente et puis adulte, assiste à tout, témoin muet, avant son entrée en jeu au deuxième acte ; il y a toujours au premier plan le théâtre de marionnettes et le jeu de poupées (dragon, filles du Rhin, crapaud, mini-Siegfried en armure), auxquels s’ajoute maintenant un calme cheval blanc, passant à l’arrière-plan dans une demi-pénombre. C’est bien sûr Grane le cheval de Brünnhilde et aussi un petit garçon, dont on comprendra vite que c’est Siegfried enfant, auquel son grand-père expliquera le passé, le présent et l’avenir…
Dans la maison qui symbolise le Walhalla, on voit vivre Fricka, Froh et Donner dans leurs appartements, tels les membres d’une famille bourgeoise, tandis que le feu de camp des Walkyries évoque l’antre de Hunding, où est retenue la frêle et menue Sieglinde, interprétée par Theresa Kronthaler à la chevelure rousse comme celle de Siegmund, Ric Furman.
Le leitmotiv de l’amour magnifié au violoncelle, puis aux cordes, reste en arrière-plan de leur coup de foudre immédiat. La voix de Theresa Kronthaler est étonnamment solide et charnue, celle de Ric Furman claire et puissante. Son Siegmund, robuste jeune homme dont l’héroïsme est davantage dans la voix, très projetée et puissante, que dans la présence physique un peu lourdaude. Il est vrai que les costumes (nuisette pour elle et caleçon, chaussette et boots pour lui ne les avantagent guère. On retient également le Hunding, interprété par Artyom Wasnetsov, à la stature gigantesque et au crâne chauve, autre voix de grand calibre.
Jonathan Nott s’attache à faire ressortir une écriture musicale différente de celle de l’Or du Rhin, beaucoup plus mélodique, manquant certes d’un peu d’élan, de fougue et de la passion entre les deux jumeaux. Pendant leur dialogue et leur lente approche l’un de l’autre, et tandis que Hunding s’endormira sur la table, assommé par le somnifère que lui aura fait boire Sieglinde, on va voir Wotan s’approcher doucement du frêne, y planter l’épée et s’enfuir à pas de loup.
Theresa Kronthaler est d’une étonnante intensité dans le récit de l’épée, « Eine Waffe lass mich dir weisen », dominant sans mal le leitmotiv joué par les cuivres et violons déchaînés, et stimulant Ric Furman soulevant superbement son « Halt ich die Hehre umfangen » .En revanche, juste après, son Chant du printemps restera piètrement en manque d’exaltation et de sève. À sa décharge, est-ce une bonne idée de lui faire enlever précipitamment chemise et pantalon juste avant, on se le demande… C’est en tout cas dans cet accoutrement qu’il arrachera triomphalement l’épée.
Autre moment ridicule et grotesque : c’est en sous-vêtements que tous deux termineront un premier acte orchestralement somptueux, un peu languissant, réfugiés dans la maison comme deux enfants coupables. L’engagement de Theresa Kronthaler, éclatante dans son « Du bist der Lenz », la maturité de son timbre, ses phrasés envoûtants décidément soulèvent à eux seuls le duo final et amènent le libérateur « Siegmund heiss ich ! » de son jumeau. Sauvés ? Non ! Dans une fin fulgurante (comme Wagner les aimait), Hunding surgira de nulle part pour s’emparer de Sieglinde et l’emporter au loin, tandis que les fourbes de Donner et Froh se saisiront de Siegmund pour le ficeler sur une chaise et le bâillonner.
Tout est spectaculaire dans ce Ring comme le déchaînement des Walkyries rockeuses au début du second acte. A défaut de chevaucher, elles envahissent la scène, motardes et gothiques, courent dans tous les sens, traînent des cadavres. Wotan affronte Fricka dans sa grande scène où elle défend le serment sacré du mariage « Der Ehe heiligen Eid » avec fougue et énergie. Solenn’Lavanant Linke campe une Fricka, jeune, élégante dans un tailleur très couture et est absolument terrifiante dans son long monologue « So ist denn aus » et furieuse dans son air « Lass von dem Wälsung » provoquant chez Wotan, trop lâche et veule, le renoncement qu’elle souhaitait. Dans cette scène, grâce à la direction d’acteurs très juste de Benedikt von Peter et à un investissement total et convaincant, Solenn’Lavanant Linke, trouve son rôle fortement stratégique. Ainsi, Fricka prend le pouvoir et la défaite de Wotan est plus que cocasse.
Dans son très long récit, (la confession de Wotan à Brünnhilde) Nathan Berg est génial et très bouleversant. Sa voix est magnifique, puissante, profonde, tout en conservant la finesse et la justesse. Il ne chante presque pas, mais dit son texte en très grand acteur. Las, le teint pâle, il ramasse tous les jouets d’enfants, les pose sur cette grande table, va s’asseoir à côté de Brünnhilde, et lui raconte sa conquête de l’or, sa rencontre avec Erda (la mère de Brünnhilde) tout cela dans un parlé-chanté étonnant. Il est soutenu par l’orchestre qui est sublime, avec des cordes veloutées, les cors voilés… C’est ainsi que Brünnhilde apprend ses origines et ce qu’elle doit faire pour que les Dieux échappent à leur fatalité. Malheureusement pour Wotan, elle va lui désobéir et refuser d’abattre Siegmund.
Un autre moment très fort est celui où Sieglinde supplie Siegmund de s’échapper et la fuir. Theresa Kronthaler sublime cet instant avec des élans de générosité et de désespoir, de tendresse notamment dans son air « wehre dem Kuss des verworfnen Weibes nicht ». De l’orchestre s’élève alors le thème de l’amour (à la clarinette). On aperçoit au fond Grane, le cheval blanc, puis apparaît Brünnhilde qui essaie de convaincre Siegmund de la suivre au Walhalla. Le temps d’une dernière étreinte entre les jumeaux incestueux, la fin du second acte est sanglante et très brutale. Donner et Froh, tels des mafieux, surgissent du Walhalla et enlèvent Sieglinde. Hunding survient, grognant, accompagné de deux comparses. Siegmund veut se battre, mais Wotan apparaît, saisit l’épée, la brise sur son genou, puis empoignant sa lance, tue successivement Siegmund et Hundig. Toute cette scène violente sous les yeux du petit Siegfried.
Le troisième acte débute à nouveau avec la voix off de Brünnhilde. Montée à la façon Game of Thrones, la scène des Walkyries sera spectaculairement macabre, avec un ciel d’orage, des éclairs au loin, le cheval blanc frémissant d’effroi et des cadavres de héros basculés dans le trou des Nibelungen. Surgissent les huit Walkyries avec des looks de hard rockeuses en furie et des voix déchaînées, sous les yeux de Brünnhilde terrifiée qui leur raconte le meurtre de Siegmund par son père, et les supplie de l’aider à soustraire Sieglinde et le petit garçon à la fureur de Wotan. Mais ses sœurs Walkyries, à l’idée de désobéir, se dérobent lâchement. A ce moment, Brünnhilde pose sur le visage du petit Siegfried le masque de loup qui figurait parmi les jouets de l’Or du Rhin. En fait, le Loup, c’est Wälse, son grand-père. Elle chante alors, dans son exaltation, et Trine Møller y déploie toute sa voix, l’un des plus beaux thèmes, celui de la rédemption par l’amour, qu’on n’entendra qu’une seule fois encore tout à la fin de Götterdämmerung. C’est à ce moment que Wotan transperce Sieglinde de sa lance.
On était déjà convaincu que Nathan Berg est un formidable Wotan. Il est à nouveau dans cette Walkyrie, grandiose de fureur, de noirceur, allant jusqu’à mimer le geste d’étrangler Brünnhilde. Sa voix est immense, à la démesure des rugissements de l’orchestre. Son air « aus meinem Angesicht bist du verbannt » allie de façon inséparable la rage, la déception, la rancœur, l’amour blessé, criant presque et c’est extrêmement beau.
Une belle image est celle des Walkyries qui s’entassent au-dessus de Brünnhilde pour la protéger de la violence de Wotan, tout en hurlant leur « Hör Unser Flehn » Mais Wotan les chasse, tandis que Donner et Froh, emballent le petit corps de Sieglinde et le jettent dans la fosse commune.
Le calme retombé, Brünnhilde peut enfin essayer de se justifier. Trine Møller est d’une émouvante sincérité. Son père, soudain presque apaisé, commence à exprimer son amour profond, sa douleur et sa solitude et son dessein d’endormir sa fille jusqu’à ce qu’un simple mortel vienne l’éveiller et en fasse une femme.
Tandis que, dans la maison, Fricka, Froh et Donner enfilent leurs manteaux et se préparent à partir et Wotan se saisissant de sa vieille valise et de sa lance pour devenir le Wanderer, on voit entrer le fragile et touchant Mime qui emporte dans ses bras l’enfant Siegfried endormi.
Le thème de Siegfried se fait entendre, tandis que Brünnhilde supplie de toute sa force qu’on la protège pendant un sommeil qui risque d’être long. Wotan allume alors une longue allumette et c’est la rampe de flamme qui veillera sur le sommeil de Brünnhilde, dans la maison devenue rocher après avoir été Walhalla. Le « Leb wohl ! » par Nathan Berg a toute l’ampleur que l’on attend, mais, quand les résonances de l’orchestre s’apaisent et que les cordes font chanter le thème des adieux, c’est dans sa déploration « Der Augen leuchtendes Paar » que le dieu infortuné, monte encore d’un cran dans l’émotion, et sa voix se brise presque en lui donnant le baiser qui prive Brünnhilde de sa divinité. Et dans un rire diabolique, il efface cette fragilité et demande à Loge d’allumer les flammes. Fin bouleversante et pleine d’émotion pour cette première journée du RING bâlois.
Marie-Thérèse Werling
Direction musicale : Jonathan Nott
Mise en scène : Benedikt von Peter, avec la collaboration de Caterina Cianfarini
Scénographie : Natascha von Steiger
Costumes : Katrin Lea Tag
Lumières : Roland Edrich
Dramaturgie : Roman Reeger
Siegmund : Ric Furman
Sieglinde :Theresa Kronthaler
Hunding : Artyom Wasnetsov
Wotan : Nathan Berg
Brünnhilde :Trine Møller
Fricka : Solenn’ Lavanant Linke
Helmwige : Lucie Peyramaure
Gerhilde : Sarah Marie Kramer
Ortlinde : Sarah Brady
Waltraute : Jasmin Etezadzadeh
Siegrune : Valentina Stadler
Rossweisse : Camille Sherman
Grimgerde : Sophie Kidwell
Schwertleite : Marta Herman
Erda : Hanna Schwarz
Froh : Ronan Caillet
Donner : Michael Borth
Mime : Karl-Heinz Brandt
Orchestre symphonique de Bâle
Dans cette production du Ring de Benedikt von Peter, la saga wagnérienne racontée par Brünnhilde continue de passionner et dans cette deuxième journée, la guerre est déclarée entre Wotan et sa fille préférée, mais il faut attendre plus deux heures avant que ne se fasse entendre une voix féminine, sauf la voix parlée de Brünnhilde, qui comme dans L’Or du Rhin et La Walkyrie apostrophe son père de questions, d’affirmations, d’ordres et de reproches. Elle est, bien décidée à affronter Wotan, le grand conteur d’histoires de son enfance et de son adolescence. Devenue adulte, elle entend non seulement s’affranchir, mais surtout faire définitivement tomber le masque d’un géniteur qui a encore de belles proies devant lui, notamment le plus jeune de la fratrie, Siegfried passionné et plein de fougue.
Dans le premier acte, Brünnhilde conseille au petit Siegfried de ne surtout pas accepter les morceaux de l’épée paternelle tendus par Mime. Mais sans résultat, car le jeune Siegfried, immature et conditionné par les belles histoires, pense trouver un sens à sa vie d’adulte dans les divers scénarios machinés par son grand-père : la forge et l’épée, le combat avec le dragon….
Benedikt von Peter maîtrise tellement le scénario de son Ring avec les secrets de famille (par ex. Siegfried se travestit en loup plutôt qu’en ours), qu’il n’a pas besoin d’un nouveau décor. Une nouvelle fois, on retrouve la maison familiale, les arbres sous la lune, la fosse énorme dans le jardin d’où jaillit le feu de la forge et la longue table des repas de famille.
Pendant les vingt années séparant La Walkyrie de Siegfried, les marionnettes de l’enfance ont grandi elles aussi. Échappées du petit château de Wotan, elles sont omniprésentes sur le plateau. A l’instar des souvenirs emmagasinés au fil du temps, elles sont plus nombreuses : aux Filles du Rhin et au Crapaud Alberich, se sont rajoutés les Wälsungen à tête de loup, Siegmund et Sieglinde aux bras démesurés dans lesquels le petit Siegfried trouve refuge et consolation, un Géant Fasolt et son crâne fracassé et même le Dragon trucidé.
Le public est toujours aussi fasciné, dans ce deuxième jour du RING, par ce rêve wagnérien de l’orchestre invisible où la musique sortant des profondeurs du plateau focalise l’attention sur les interprètes. Dirigé par le chef plus qu’inspiré Jonathan Nott, l’Orchestre Symphonique de Bâle délivre ce soir encore une prestation quasi de « musique de chambre » mais d’une suffocante beauté : le Chant de la forge est martial, l’arrivée au sommet du Rocher des Walkyries révèle un son aigu des cordes d’une rare élévation.
Le plateau vocal est une nouvelle fois captivant. Kalr-Heinz Brandt, ténor de caractère campe un Mime de belle allure. Andrew Murphy confirme une nouvelle fois son excellente forme en Alberich. Peluche rouge au plumage coloré et scintillant, Álfheiuður Erla Guðmundsdóttir est un oiseau de luxe, de surcroît merveilleusement expressif scéniquement et vocalement (le ramage est aussi beau que le plumage !!!).
On admire une fois encore l’art avec lequel, en Erda aux graves remarquablement profonds, Hanna Schwarz gère une voix qui, rappelons-le fut une éclatante Fricka dans la mise en scène de Patrice Chéreau à Bayreuth. Parfaitement ronflant et grognant lors des affrontements, Runi Brattaberg sait tout de même rendre le caractère de Fafner plus humain. Trine Møller, très habitée, était ce soir plus convaincante et meilleure Brünnhilde que dans La Walkyrie, jusqu’au final où, sur les dernières mesures, elle domine quelque peu Siegfried, interprété par Rolf Romei.
Après avoir chanté Lohengrin et Parsifal (il fut également Max à Bregenz l’été dernier), le ténor suisse allonge à l’évidence la liste des Siegfried du moment, sans toutefois égaler un Klaus Florian Vogt. Son Chant de la forge sonne sans fatigue apparente, porté par l’orchestre flamboyant et lumineux de Jonathan Nott. Dans le second acte, les Murmures de la forêt sont interprétés d’une brûlante poésie. On admire jusqu’à l’Acte III, le style avec lequel il campe le rôle le plus terrible de Wagner, mais une légère fatigue apparaissant sur les dernières mesures. Et pour finir, Nathan Berg, en faux Wanderer, disparaît sous d’odieux ricanements.
Plus crépusculaire que solaire, (surtout dans le 3e acte), la production bâloise de ce Siegfried est un mélange de nombreux flashs plus ou moins réussis : la forge savamment reconstituée entre sol et sous-sol, la grande beuverie avec Wotan et Erda, l’arrivée au sommet du « rocher » avec le bestiaire au complet se serrant les coudes dans les fumigènes autour d’un éclatant et beau cheval blanc, les sombres orages. Une nouvelle vision saisissante montre Brünnhilde se relevant soudainement du lit où elle vient de céder à Siegfried, pour planter son regard accusateur dans celui, goguenard, de Wotan, lequel a assisté à la première relation sexuelle de sa fille, mais en plus, accompagné de l’adolescente qu’était Brünnhilde, vingt ans plus tôt : une forme de voyeurisme malsain, sans parler de l’accoutrement de Brünnhilde et de Siegfried, une nouvelle fois en sous- vêtements, chaussettes…
Dommage, tout le romantisme semble perdu et lointain. Le rideau final fut ovationné bruyamment, mais aussi hué…..
Marie-Thérèse Werling
7 juin 2025
Musikalische Leitung : Jonathan Nott
Inszenierung : Benedikt von Peter
Co-Regie : Caterina Cianfarini
Bühne : Natascha von Steiger
Kostüme : Katrin Lea Tag
Kostümmitarbeit : Karoline Gundermann
Lichtdesign : Roland Edrich
Videodesign : David Fortmann
Sounddesign : Robert Hermann
Dramaturgie : Roman Reeger
Siegfried : Rolf Romei
Mime : Karl-Heinz Brandt
Der Wanderer : Nathan Berg
Alberich : Andrew Murphy
Fafner : Runi Brattaberg
Erda : Hanna Schwarz
Brünnhilde : Trine Møller
Waldvogel : Álfheiður Erla Guðmundsdóttir
Sinfonieorchester Basel
Statisterie Theater Basel
Avec son idée fixe, son décor unique, sa direction d’acteurs au cordeau, le Ring de Benedikt von Peter laisse le spectateur sur sa faim, surtout la dernière journée Götterdämmerung.
Le livret du Crépuscule des Dieux fut écrit en premier, raison pour laquelle, au contraire des trois opéras précédents, il marque encore son allégeance aux fondamentaux (aria, duo, trio, chœur) du grand opéra, raison pour laquelle ce soir, Benedikt von Peter s’autorise enfin à retoucher le décor unique avec lequel il ambitionnait de faire des quatre opéras de L’Anneau du Nibelung un seul spectacle.
La quatrième partie du Ring à Bâle commence comme les trois précédentes : avec la voix de Brünnhilde, en coulisses, racontant l’histoire familiale à travers des flashbacks lamentables. Une fois de plus, les petites marionnettes, les figurines d’enfants et des créatures plus grandes que nature (crapaud, dragon et loups) gambadent sur scène, rappelant sans cesse le passé. Seules les marionnettes (poupées gonflables) des Filles du Rhin sont à nouveau sur le devant de la scène, lorsqu’elles demandent l’anneau à Siegfried. Quant au pauvre Nathan Berg, dans le rôle de Wotan, il doit constamment entrer en silence sur le plateau, telle l’ombre de lui-même. La maison, style « loft » des parties précédentes doit servir de décor pour ce dernier opéra, mais on commence à s’en lasser sérieusement, même s’il est transformé (avec humour certes) en salle des Gibichungs par une entreprise de déménagement. La conception des lumières de Roland Edrich est toujours aussi fade, ce qui est lassant après 16h de spectacle.
©INGO HOEHN
Dans sa mise en scène, Benedikt von Peter fait du Voyage de Siegfried sur le Rhin celui d’un camion de déménagement, malicieusement baptisé Rheinfahrt Umzüge, duquel une équipe de déménageurs en combinaison blanche sorte le mobilier, blanc également. Dans une vitrine, éblouissante, est exposée la lance brisée de Wotan. Côté dress-code, le blanc est de rigueur également pour les invités aux mariages. Tout est ripoliné !!!!, même Hagen, seul à dissimuler son maillot noir sous une veste immaculée, en guise de blanchiment d’un monde condamné que le metteur en scène Benedikt von Peter se permettra de souiller plus tard du sang du sanglier offert en plat principal. Pendant un curieux premier entracte situé après la première scène de l’Acte II, il fera également tronçonner les arbres qui s’étaient démultipliés dans Siegfried.
Confiés à deux interprètes débutants, Gunther Papendell et Heather Engebretson sont très habités et convaincants dans les rôles de Gunther et Gudrune, les nouveaux habitants de ce nouveau lieu. Andrew Murphy offre sa qualité habituelle dans le rôle d’Alberich tandis que Patrick Zielke dans le rôle de Hagen, apporte une interprétation sombre, maléfique et vocalement séduisante. Les trois Nornes (Marta Herman, Jasmin Etezadzadeh, et Sarah Marie Kramer) font un excellent travail. Jasmin Etezadzadeh brille également dans le rôle de Waltraute.
Siegfried est à nouveau interprété ce soir par Rolf Romei, qui après son programme colossal de la 3e soirée, encaisse courageusement la quatrième soirée avec un chant très nuancé, un verbe clair, une émission gracieuse presque lyrique. Il affiche une santé éclatante. Moment très émouvant lors de la Marche funèbre où, en expirant, Siegfried semble parvenir à faire le point sur ce qu’aura été sa pitoyable existence d’enfant manipulé par son grand-père. Alors qu’on le croit mort, il s’empare d’une flèche, menace Wotan, puis la tourne contre lui et meurt. Auparavant, on l’aura vu, agonisant, s’agripper au manteau de fourrure de son grand-père. On aura aussi vu le petit Siegfried s’adonner un dernier jeu de rôles : retourner contre lui-même son épée de bois.
Omniprésente en scène en tant que narratrice de ce Ring, poussée par les Filles du Rhin à réagir enfin, Trine Møller parvient enfin à développer son potentiel et achève en beauté le grand chelem des trois Brünnhilde.
On reste cependant sur sa faim, dans la mise de scène de Benedikt von Peter, car au lieu de mettre le feu au château des Dieux, Brünnhilde et Wotan ont mis le feu à une maison de poupées du Walhalla. Le fait qu’Alberich et Wotan se disputent l’anneau, que Wotan remporte, n’a rien d’amusant : Erda l’aurait laissé aux filles du Rhin, la malédiction aurait été brisée et la paix serait revenue. Que le patriarche Wotan, avide de pouvoir, le tienne entre ses mains à la fin, peut être une explication à l’état de désolation du monde dans lequel nous vivons ??? Ceci est la question…..
A la fin, en compagnie non seulement d’Erda, mais de tous les acteurs de cette tétralogie, voici qu’une interminable procession de victimes au regard tourné vers l’horizon lointain, s’est mis à gravir avec une lenteur calculée les marches du parterre, au plus près du public. Le plateau vidé ne montre plus, aux extrémités de la table des festivités, qu’un pauvre type, anneau au doigt, abandonné par ses victimes, et qui ne ricane plus, Wotan, face à son pire cauchemar, Alberich
Le spectateur était fasciné par la conception de la fosse d’orchestre recouverte dans le style de BAYREUTH, mais toujours de haute volée. Sous l’excellente direction de Jonathan Nott, le Sinfonieorchester Basel était l’allié indispensable de cette production dont les derniers instants visuels sont à la hauteur du génie musical qui les illustre.
Ce Crépuscule des dieux dans la mise en scène de Benedikt von Peter, laisse voir l’envoûtement exercé par la musique géniale et l’imaginaire tortueux de Richard Wagner. C’était tout simplement le crépuscule du patriarcat.
Marie-Thérèse Werling
8 juin 2025
Direction : Jonathan Nott
Mise en scène : Benedikt von Peter
Décor : Natascha von Steiger
Costumes : Katrin Lea Tag
Lumières : Roland Edrich
Siegfried : Rolf Romei
Brünnhilde : Trine Møller
Gunther : Gunther Papendell
Alberich : Andrew Murphy
Hagen : Patrick Zielke
Gutrune : Heater Engebretson
Waltraute/Deuxième Norne : Jasmin Eteradzadeh
Première Norne : Marta Herman
Troisième Norne : Sarah Marie Kramer
Woglinde : Harpa Ósk Björnsdóttir
Wellgunde : Valentina Stadler
Floßhilde : Sophie Kidwell
Chœur du Theater Basel (Chef de chœur : Michael Clark)
Sinfonieorchester Basel
© Ingo Höhn