A PROPOS DE L’OR DU RHIN

En marge des représentations de L’Or du Rhin à l’Opéra de Monte-Carlo : Michèle Bessout, vice-présidente du Cercle, nous propose un éclairage sur l’ouvrage.

L’Or du Rhin est le premier volet – le Prologue – de l’œuvre gigantesque de Richard Wagner la Tétralogie de l’Anneau du Nibelung, plus connue sous le nom du RING.

C’est une œuvre aux dimensions démesurées, qui s’étend sur une durée de quinze heures réparties en quatre drames : un Prologue, L’Or du Rhin qui nous occupe aujourd’hui, puis trois « journées » : La Walkyrie, Siegfried et le Crépuscule des Dieux.

Louis II et Wagner

L’Or du Rhin est créé à Munich le 22 septembre 1869, sur ordre du Roi Louis II de Bavière, mais contre l’avis de Richard Wagner qui considérait que le Ring représentait un tout et devait être présenté dans son intégralité, et non chaque opéra séparément. Il faudra attendre le 13 août 1876 pour que l’Or du Rhin soit donc créé une seconde fois, à l’occasion de l’inauguration du Festival de Bayreuth, en prologue aux trois autres volets du cycle.

Ce prologue qui dure environ 2h30 ne comporte qu’un seul acte divisé en quatre scènes reliées entre elles par des interludes orchestraux. La représentation se déroule donc sans entracte.

Que raconte cette « Tétralogie wagnérienne » ? Fable philosophique pour les uns, fresque mythique universelle pour les autres, c’est avant tout un sombre affrontement de clans, une lutte sanglante entre des personnages tous plus avides de pouvoir les uns que les autres.

C’est une œuvre aux dimensions hors normes, avec quinze heures de musique et pas moins de 34 personnages dont déjà 14 dans le seul Or du Rhin.

Chaque personnage a une fonction symbolique. Tous incarnent une idée, un sentiment, un principe. Presque tous ont une mission à accomplir, qu’elle soit bienfaisante ou néfaste.

Illustration d’Arthur Rackham

Nous allons donc passer en revue ces 14 personnages de l’Or du Rhin :

Les premiers personnages que nous rencontrons dès la première scène de l’Or du Rhin, sont les Filles du Rhin. Ce sont des ondines, nymphes ou sirènes, elles évoluent dans les eaux du Rhin avec pour mission de veiller sur l’Or qui repose depuis des siècles au fond du fleuve.

Elles symbolisent le bonheur, la paix, l’innocence et l’amour, la sérénité de la nature. Elles sont au nombre de trois : Woglinde (soprano), Wellgunde (mezzo-soprano) et Flosshilde (contralto).

Un quatrième personnage apparaît dans cette 1ère scène : Alberich,(baryton) tout le contraire des Filles du Rhin. Il est le chef des Nibelungen. C’est un gnome affreux, d’aspect répugnant, symbole de haine, de bassesse et de cupidité. Il est l’incarnation du mal.

Trop vil pour comprendre la nature, trop laid pour séduire les Filles du Rhin qui le repoussent, il reporte son désir sur l’Or et la puissance, et parvient à voler le Trésor.

A la deuxième scène apparaît Wotan (baryton-basse), le Dieu suprême du Ciel païen germanique, qui règne sur tout l’Univers. C’est un despote orgueilleux, ambitieux et volage. Il désharmonise l’Univers par un certain nombre de fautes. Dieu trop humain, il incarne les contradictions, les qualités et les défauts des hommes.

A ses côtés, son épouse, la Déesse Fricka (mezzo-soprano), déesse du mariage.

Elle symbolise l’ordre, la tradition, la froide raison, l’austère sagesse. Autoritaire et hautaine, elle exerce sur Wotan une grande influence.

Fricka a une sœur, Freia, et deux frères, Froh et Donner.

  • Freia (soprano) : C’est la Déesse de la jeunesse et de l’Amour. Elle seule sait cultiver les Pommes d’Or, ces fruits qui entretiennent chez les Dieux une éternelle jeunesse. Dès qu’elle disparaît, les Dieux dépérissent et meurent.

  • Froh (ténor) : Dieu de la joie. C’est peut-être le seul personnage de l‘Or du Rhin qui n’a pas de mission particulière.

  • Donner (baryton) : C’est le Dieu du tonnerre et des tempêtes, c’est lui qui déchaîne les orages et qui édifie l’Arc en Ciel à la fin de l’Or du Rhin.

Nous rencontrons ensuite deux personnages extrêmement importants de l’Or du Rhin :

Les Géants, Fasolt (basse chantante) et Fafner (basse profonde).

Ils symbolisent les jouissances matérielles et grossières. Grands bâtisseurs, ils ont construit le Palais du Walhalla sur l’ordre de Wotan.

Pour paiement de cette construction, Wotan leur a promis la Déesse Freia (dont Fasolt est amoureux), en sachant très bien, qu’il ne la leur livrera pas. Il va donc falloir trouver un autre salaire.

C’est alors qu’intervient un personnage clé de l’Or du Rhin, le Dieu Loge (ténor).

C’est le Dieu du Feu, un personnage subtil et fourbe, il est le perfide conseiller de Wotan. Il est le symbole du mensonge, de la fourberie et de l’astuce.

C’est lui qui engage Wotan à s’emparer par ruse de l’Or et de l’Anneau d’Alberich.

Lors de la 3e scène qui se passe au Nibelheim, dans les entrailles de la terre, nous faisons connaissance avec le nain Mime (ténor léger).

C’est le frère d’Alberich, qui en a fait son esclave et qu’il utilise comme forgeron. C’est un être malfaisant, poltron et cupide. C’est lui qui forge, pour le compte de son frère, l’Anneau et le Tarnhelm, le heaume magique, qui permet de se métamorphoser sous différentes formes.

Tout autour de Mime gravite une multitude de nains tous plus hideux les uns que les autres, les Nibelungen. Tous sont les esclaves d’Alberich qui les fait trimer jour et nuit pour fondre et forger les métaux. Leur armée menace d’engloutir le monde.

Nous avons donc fait la connaissance de 13 personnages, il en reste un que nous ne rencontrerons qu’à la 4e et dernière scène : C’est la Déesse Erda (contralto).

C’est la Déesse de la Terre et de la Sagesse. Elle connaît le passé, le présent et l’avenir, elle est la garante du Destin et dort d’un éternel sommeil. C’est elle qui, dès le prologue, prédit à Wotan, le Crépuscule des Dieux et l’écroulement du monde.

Maintenant que vous connaissez tous les personnages, venons-en au déroulé de l’action.

Illustration d’Arthur Rackham

Scène 1 – C’est le commencement du monde : un simple Mi bémol de contrebasse retentit comme une cellule originelle et sera tenu pendant cent trente-huit mesures ! L’accord se développe progressivement jusqu’à ce que le rideau s’ouvre sur les trois Filles du Rhin, gardiennes de l’Or brut enfoui dans les profondeurs du Rhin. Elles chantent joyeusement lorsqu’apparaît le gnome hideux et libidineux, Alberich, qui tente de les séduire, mais elles repoussent ses avances en se moquant de lui et de sa laideur. En revanche, elles lui révèlent – bien imprudemment – le secret fatal : L’Or forgé en anneau donnera la toute puissance à celui qui le possédera, mais une condition pour cela : renoncer à l’amour.

C’est Woglinde qui énonce ce postulat sur le thème du « Renoncement à l’Amour », qui sera repris au 1er acte du Crépuscule des Dieux. Alberich, déçu par l’amour, accepte le marché, il n’hésite pas, et vole le trésor aux Filles du Rhin en maudissant l’amour.

Le postulat de base de l’Anneau du Nibelung est posé : celui qui aspire à la toute puissance doit renoncer à l’Amour.

Ainsi l’Or, qui était, lorsqu’il reposait au fond du Rhin, un symbole d’harmonie et de paix, devient, aux mains d’Alberich, un symbole de tyrannie et de haine.

Les Ondines pleurent désormais, au fond du Rhin, leur trésor perdu, tandis que du plus profond de l’abîme, monte, strident, l’éclat de rire sarcastique d’Alberich.

La scène est envahie par des flots sombres et le Rhin disparaît dans d’épaisses ténèbres.

Scène 2

Par un savant enchaînement musical à l’orchestre qui passe insensiblement du thème du Rhin à celui du Walhalla, nous sommes transportés chez les Dieux.

Aux côtés de son épouse, Fricka, le Dieu Wotan s’éveille et contemple la forteresse qu’il s’est fait bâtir par les Géants Fasolt et Fafner : le Walhalla. Mais il a conclu avec eux un pacte « Le Traité », par lequel il leur a promis en gage la déesse Freia, Déesse de la jeunesse et de l’Amour, dont les pommes d’or assurent aux Dieux une éternelle jeunesse. Comment faire pour contourner cette promesse imprudente ?

Au moment où les deux Géants viennent chercher Freia pour prix de leur travail, le rusé Loge, le Dieu du feu, perfide conseiller de Wotan, évoque alors le vol de l’or du Rhin, dans un monologue très lyrique au cours duquel il va instiller chez ses interlocuteurs le virus de la cupidité qui les mènera à leur perte.

Il leur annonce que le Nain est parvenu à s’emparer de l’Or du Rhin, avec lequel il s’est forgé un Anneau qui lui donne la faculté de dominer le monde.

Cette nouvelle excite la convoitise des Géants qui consentent à renoncer à Freia si on leur offre le trésor comme salaire.

En attendant ils emmènent Freia comme otage et ne la rendront qu’en échange du Trésor.

Mais la disparition de Freia provoque chez les Dieux un effet désastreux : elle n’est plus là pour cultiver ses pommes d’or et les Dieux dépérissent. Comprenant que la présence parmi eux de la Déesse de la jeunesse et de l’Amour leur est indispensable, Wotan décide de descendre avec Loge au Nibelheim pour tenter de dérober à Alberich le trésor et le précieux Anneau, afin de les remettre aux Géants en échange de Freia.

Scène 3 – Wotan et Loge sont descendus à Nibelheim, le monde souterrain où Alberich a asservi ses semblables, les Nibelungen, notamment son frère Mime qu’il humilie et maltraite violemment. Alberich règne en maître sur ce monde puisqu’il possède maintenant le trésor et donc cet Anneau qui donne la toute puissance, ainsi que le « Tarnhelm » le Heaume magique, forgé par Mime, qui permet de se métamorphoser à volonté et même de se rendre invisible.

C’est ainsi que devant ses deux visiteurs qui feignent d’être admiratifs de sa science, Alberich , en revêtant ce heaume, se transforme d’abord en énorme Dragon. Wotan et Loge font mine d’être épouvantés, par la redoutable bête puis, Loge demande à Alberich s’il peut aussi se transformer en infiniment petit mais ce doit être trop difficile…. « Trop difficile pour toi qui es stupide », rétorque Alberich, qui se transforme aussitôt en un crapaud minuscule. Le plus stupide n’est pas celui qu’on croit, puisqu’il est alors facile aux deux Dieux de capturer Alberich et de le remonter dans ses filets à la surface de la terre.

Scène 4 – Nous retrouvons donc nos deux Dieux Wotan et Loge, à la surface de la terre avec leur captif. Au cours d’une scène âpre et violente, Wotan exige d’Alberich que ses esclaves, les Nibelungen remontent la totalité du Trésor enfoui au Nibelheim. Pour Alberich, qui se croyait le Maître du monde, c’est l’humiliation suprême d’apparaître prisonnier et enchaîné aux yeux de ses esclaves.

Il consent donc à donner la totalité du Trésor, mais il refuse de donner l’Anneau à Wotan, qui le lui arrache de force, ainsi que le Tarnhelm.

Alors, Alberich, avec un rire sarcastique, plein de haine, prononce sur l’objet, une terrible malédiction : l’anneau ne sera que source de malheur pour qui la portera. A partir de là, la machine infernale se met en route et la malédiction ne cessera de produire ses effets. L’Anneau maudit devient un symbole de malheur et de haine dans tout le reste du drame.

Les Géants reviennent avec Freia réclamer leur salaire. Fasolt, visiblement amoureux de Freia, se contenterait bien de la Déesse et de ses pommes d’or, mais Fafner, lui, plus terre à terre, exige le trésor.

Fasolt ne peut se résoudre à l’idée de perdre Freia, et pour ne plus la voir, il demande qu’elle soit tout entière recouverte par les blocs d’or qui constituent le trésor. Tout le Trésor y passe, mais on aperçoit encore une mèche de sa belle chevelure. Pour combler la brèche, Loge se résout à jeter le Tarnhelm. Cette fois, Freia est complètement dissimulée par le Trésor et Fasolt se lamente de ne plus voir celle qu’il aime, lorsqu’il aperçoit, par une fente minuscule, la lueur de son regard. Fafner demande que cette fente soit comblée, il n’y a plus d’or, mais au doigt de Wotan scintille un Anneau d’or : qu’il soit ajouté au Trésor. Wotan s’y oppose violemment.

Au plus fort de la dispute entre Dieux et Géants, un puissant accord de trombone fige l’action et la prophétesse Erda apparaît soudain des profondeurs de la terre, sommant Wotan de livrer la totalité du trésor aux Géants et de céder cet Anneau qui attire tous les malheurs. Elle prédit aussi que le Crépuscule des Dieux est proche. Puis la Déesse disparaît dans l’abîme et retourne à son sommeil.

Bien à regret Wotan s’exécute et abandonne l’Anneau aux Géants.

Aussitôt, les effets de la malédiction ne tardent pas à se faire sentir : A peine en possession du Trésor, les deux Géants se disputent. Fafner, voulant le trésor pour lui seul, tue son frère Fasolt – arguant que s’il avait eu Freia, il ne l’aurait pas partagée ! – et il s’éloigne avec le trésor dont il devient le seul détenteur.

Freia, quant à elle, libérée de l’emprise de Fasolt, revient parmi les Dieux.

Une tempête déclenchée par Donner, éclate, puis s’apaise, suivie par un magnifique Arc-en-Ciel qui sert de Pont pour rejoindre le Walhalla.

Nous suivons donc les Dieux qui montent solennellement au Walhalla derrière Wotan, tandis qu’à la trompette, retentit pour la première fois le thème de l’Épée.

Loge qui est resté à l’écart, contemple la scène d’un air amusé, affirmant que les Dieux courent à leur perte.

Tandis que les Dieux pénètrent triomphalement dans leur nouvelle résidence, on entend monter du fond de la vallée, le chant des Filles du Rhin qui continuent de se lamenter et de pleurer sur l’Or qui leur a été ravi.

Michèle BESSOUT

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