Wotan et les dieux et les déesses du Walhalla se sont montrés aussi cléments que le ciel que décoraient quelques nuages inoffensifs. L’herbe fraîchement tondue était bien sèche, la température douce accueillait les spectateurs bayreuthiens et les festivaliers, bien plus nombreux que lors des éditions précédentes, qui avaient répondu à l’invitation d’assister au concert gratuit donné sur une grande scène érigée pour accueillir l’Orchestre du Festival, placé sous la brillantissime direction de la cheffe française Nathalie Stuzmann, présente à Bayreuth pour y diriger le Tannhäuser. La maestra s’est promis d’effacer la honte dont certains de ses compatriotes, ceux du Jockey Club, s’étaient couverts en organisant les sifflets et le chahut qui avaient mis à mal les premières représentation parisiennes de cet opéra en mars 1861.
Quatre chanteurs wagnériens renommés : la soprano britannique Catherine Foster, qui sera la Brünnhilde du Festival 2024, et trois chanteurs allemands : le Heldentenor Tilmann Unger qui assure cet été la doublure de la plupart des rôles de sa tessiture, le baryton Michael Kupfer-Radecky qui sera Gunther dans Götterdämmerung et le baryton Birger Radde qui incarnera Melot dans Tristan und Isolde, la nouvelle production du Festival.
La soirée a été plaisamment animée par le journaliste et modérateur Axel Brüggemann, wagnérien passionné et excellent modérateur, enjoué et convivial, qui n’hésite pas à descendre du podium pour se mêler à la foule et venir déguster ici une bouchée des petites gâteries préparées pour le pique-nique et là accepter une flûte de Sekt.
Le troisième concert en plein air du Festival a pour thème les étapes de la vie de Richard Wagner en musique : Leipzig, Dresde, Riga, Munich, Paris, Bayreuth, Venise et accompagne les voyages du compositeur avec des œuvres de ces pays qui ont influencé Wagner — et bien sûr avec sa propre musique. Quel rôle Dresde et la révolution ont-ils joué pour Wagner ? Pourquoi s’est-il tant frotté à Paris ? Quelle musique l’a accompagné sur le chemin de Munich à Bayreuth ? Et qu’est-ce qui l’a attiré en Italie à la fin de sa vie ? La soirée couvre à nouveau un large éventail musical allant de Bach à Lloyd Webber, avec en plus des œuvres de Boieldieu, Bizet, Tchaïkovski, Bruckner, Verdi et Liszt. Toutes les musiques, plein air oblige, sont amplifiées par de nombreux haut-parleurs, même celles que Wagner avaient conçues pour l’acoustique particulière du Festspielhaus dont la fosse est couverte
Ce furent deux heures de musiques entraînantes et émouvantes. Pour rappeler que Wagner est né à Leipzig, la soirée commence par le prélude de première Suite pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach, originaire de la même ville. Suit une œuvre de jeunesse de Wagner, l’Ouverture en ré mineur que le jeune homme de 26 ans avait composée en 1839/1840, la destinant initialement à être le thème d’une symphonie sur le Faust de Goethe. Nathalie Stuzmann et l’orchestre ont su la rendre tout à fait attachante.
La soprano dramatique Catherine Foster, en robe de soie grise à fines lignes, s’est totalement investie dans la soirée, depuis le “Dich teure Halle” d’Elisabeth interprété avec une ferveur vibrante, en passant par la Senta du duo “Wie aus der Ferne” avec Michael Kupfer-Radecky en Holländer, jusqu’à l’émouvante palette de sentiments du “Liebestod”, le plus connu des chants d’amour et de mort, par laquelle la chanteuse nous fait vivre la transfiguration d’Isolde.
L’ouverture de Rienzi rappelle que Wagner a travaillé à Riga, le Fliegende Holländer sa traversée périlleuse qui se termina en Angleterre. Le séjour français du compositeur est évoqué par les ouvertures de La dame blanche de Boieldieu et de Carmen de Bizet, cette œuvre que Nietsche avait estimé être “le meilleur opéra qui soit” et qu’il déclara constituer “l’antidote au poison wagnérien.” Le célèbre air de la Dame de Pique “Ya vas lioubliou”, nous rappelle que Tchaïkovski fut présent au premier festival de Bayreuth en 1876.
Un intermède vient célébrer la mémoire du très regretté Stephen Gould, décédé l’an dernier à l’âge de 61 ans. Le ténor Tilmann Unger donne un fascinant “The Music of the night” extrait du Phantom of the night d’Andrew Lloyd Weber, une musique choisie parce que, comme l’a rappelé l’animateur de la soirée, Stephen Gould a toujours dit qu’il était devenu un interprète de Wagner aussi célèbre parce qu’il avait d’abord appris à divertir son public en tant qu’acteur de comédie musicale. Le temps de cette chanson, on voit défiler des photos de Stephen Gould depuis son plus jeune âge jusqu’à celui de ses plus grands succès bayreuthois.
La fin de concert va en crescendo, avec le fascinant scherzo de la Septième symphonie de Bruckner mené avec une passion frémissante par Nathalie Stutzmann, suivi de deux duos qui viennent encadrer le “Liebestod” : “Dio, che nell’alma” du Don Carlo de Verdi et “Blühenden Lebens labendes Blut” du Götterdämmerung. Birger Radde en impose par sa présence corporelle et son expressivité très suggestive, sa voix puissante au timbre sombre a de magnifiques couleurs. On a hâte de le retrouver en Melot. L’orchestre clôture une soirée enchanteresse avec le prélude de Parsifal.
Signalons encore l’excellente mise en scène assurée par un travail de vidéo de haute volée diffusé sur grand écran en fond de scène : on y voyait les chanteurs et la cheffe en format géant, dupliquant leur présence en avant-scène, ou encore des gros plans sur des groupes d’instrumentistes.
Luc-Henri ROGER
24/7/2024
©Luc-Henri ROGER