Plácido Domingo devait interpréter à l’Opéra de Monte-Carlo le rôle de Giorgio Germont dans La Traviata de Verdi au mois de mars dernier. Malheureusement pour des raisons d’ordre familial, le célèbre chanteur avait été contraint d’annuler sa prestation.
Le ténor madrilène avait foulé la scène de la Principauté pour la première fois en août 1977 à l’occasion d’un concert avec Martina Arroyo consacré aux airs de Verdi, Donizetti, Giordano avec l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo sous la direction de Gianandrea Gavazzeni. Rappelons qu’Otello de Verdi, en version scénique en janvier 1980 sous la baguette de Lawrence Foster et dans la mise en scène de Margherita Wallmann fut son premier opéra à Monaco. Par la suite il revint à plusieurs reprises, en novembre 1981 pour une version concertante d’Aïda de Verdi à l’Auditorium Rainier III, puis en 1994 dans le cadre de la tournée des trois ténors avec Luciano Pavarotti et José Carreras. En janvier 1996, on le retrouvait dans I Pagliacci à l’Opéra de Monte-Carlo où il dirigea en 2013 The Telephone et Amelia Al Ballo de Menotti. La dernière apparition du chanteur dans sa nouvelle tessiture de baryton remonte à décembre 2020 avec I due Foscari de Verdi au Grimaldi Forum.
En dépit de son empêchement de participer aux représentations de La Traviata, Plácido Domingo tenait néanmoins à montrer son attachement à l’Opéra de Monte-Carlo, ainsi qu’à sa nouvelle directrice Cécilia Bartoli, en venant chanter à ses côtés lors d’une grande soirée lyrique accompagnée par l’Orchestre Philharmonique placé sous la direction de Gianluca Capuano. La veille de ce concert, l’Opéra affichait la troisième représentation du Barbiere di Siviglia de Rossini et l’ensemble des artistes qui y participaient avaient souhaité entourer Plácido Domingo et Cécilia Bartoli pour ce concert exceptionnel.
Chacun des airs, duos ou ensembles étaient illustrés par la projection vidéo d’un tableau qui représentait l’œuvre en question. C’est ainsi que sur fond d’une foule en révolution, Plácido Domingo ouvrait la soirée avec l’air de Carlo Gérard d’Andrea Chénier de Giordano « Nemico della patria ». On a pu constater à cette occasion que le charismatique chanteur n’avait rien perdu, ni de la qualité de son timbre, ni de la fraîcheur de la voix, ni de cette diction incisive qui fut l’un des traits caractéristiques de son émission, sans parler bien évidement de ses qualités de musicien qui lui ont permis de servir cette longue et unique carrière dans l’histoire de l’art lyrique. A cette nouvelle écoute, nous nous sommes confortés dans le fait que nous entendions toujours la couleur d’un ténor plutôt que celle d’un baryton mais il est évident que l’artiste possède les notes qui lui ont permis d’entamer, voici un certain nombre d’années, une seconde carrière dans ce nouveau répertoire.
Edgardo Rocha (Almaviva dans Le Barbier de Séville) mit au service de Delibes, sa voix de ténor belcantiste pour l’air de Gérald de Lakmé « Prendre le dessin d’un bijou…Fantaisie aux divins mensonges », un modèle d’élégance et d’art du chant élégiaque. Pour les besoins de « Son lo spirito che nega » du Mefistofele de Boïto, Ildar Abdrazakov enfila à nouveau les mains tortueuses de Basilio prolongées par les griffes de Nosferatu pour personnifier le démon Mefistofele, « l’esprit qui nie », devant un décor montrant un monde ravagé par les flammes. Ampleur et mordant à l’appui, la basse russe nous renvoya aussi bien à son impressionnant Boris Goudounov qu’à son cauteleux précepteur de la veille.
Le chœur de Nabucco ne pouvait échapper à la superbe démonstration de celui de Monte-Carlo avec ce « Va’ pensiero » plainte incontournable des hébreux opprimés sous le joug babylonien devenu l’emblème de l’aspiration à la liberté. Ensuite l’on entendit l’un des sommets de la soirée, toujours extrait du même ouvrage, la prière de Nabucco « Dio di Giuda », suivie de la cabalette « O prodi miei, seguitemi » par Nicola Alaimo qui démontra l’étendue de ses moyens en passant avec une aisance confondante du rôle de Figaro à l’emploi d’un grand Verdi exigeant puissance vocale, ardeur des accents, couleur chaleureuse du timbre et aigu percutant qui caractérisent ce répertoire spécifique. Il fut justement acclamé pour toutes ses qualités.
Après le pizzicato du ballet de Sylvia de Delibes, Cécilia Bartoli et Plácido Domingo se retrouvèrent en Zerlina et Don Giovanni pour « Là ci darem la mano » sur fond de jardins d’un palais maure en Espagne. Cécilia Bartoli s’adonna à nouveau à l’un de ses compositeurs de prédilection : Mozart avec l’air de Sesto de La Clemenza di Tito « Parto, parto, ma tu ben mio » propre à faire valoir ses dons de virtuose…Le célèbre duo Les Pêcheurs de perles réunissait Plácido Domingo en Zurga et Edgardo Rocha en Nadir. C’est l’une des pages qui fait toujours mouche auprès du public…Et en conclusion de la première partie on se régala à nouveau de l’exubérant final de l’acte I du Barbier de Séville représenté la veille sur cette même scène.
Après l’entracte, Rebeca Olvera délivra avec malice et de sa jolie voix de soprano, l’air de Norina de Don Pasquale « Quel guardo il cavaliere » après que le chœur ait ouvert le ban avec « Che interminabile andirivieni » du même ouvrage de Donizetti. Verdi occupa une place notable dans cette deuxième partie avec l’air « Pietà, rispetto, onore » de Macbeth par Plácido Domingo tandis que Cécilia Bartoli, s’aventurant avec bonheur dans un répertoire inhabituel, donna une version fort émouvante et diaphane de la prière de Leonora de La Forza del destino « La Vergine degli angeli » avec le chœur. Sublime aussi, et comme il fallait s’y attendre, son air de Desdemona « Assisa a piè d’un salice » extrait d’Otello de Rossini. Plácido Domingo revint avec La Taberna del puerto de Sorozábal « No puede ser » l’une des mélodies les plus connues du répertoire que nombre de ténors ne manquent jamais d’introduire dans leur concert.
Le tout se termina selon la tradition par l’incontournable brindisi de La Traviata « Libiamo ne’ lieiti calici » par l’ensemble des protagonistes : une occasion de quelques gags humoristiques, avant que chacun ne « s’éclate » dans la célèbre mélodie napolitaine « O sole mio » en bis, ponctuée de numéros inénarrables qui enchantèrent le public lequel ovationna à maintes reprises tous les interprètes de cette grande soirée lyrique.
Christian Jarniat
Le 21 avril 2023