J’ai récemment eu la chance de visiter la magnifique exposition qui se tient en ce moment à la Fondation Vuitton et qui présente « La collection Morozov. »
Parmi tous ces chefs-d’œuvre, mon attention a été attirée par un tableau en particulier, à savoir une huile sur toile de Paul Cézanne, datée de 1868 /1869 ( N.B. : Cézanne a 30 ans ), toile de dimensions modestes ( 58 x 93 cm ) et qui fait partie des collections du Musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg.
On sait qu’Ivan Morozov l’avait acquise en 1908 auprès du marchand d’art Ambroise Vollard.
Pourquoi cet intérêt soudain pour cette toile ? Tout simplement car le titre en est :
Cela m’a intrigué bien sûr, et j’ai décidé d’en savoir un peu plus.
L’artiste a en fait représenté sa sœur au piano, en train de jouer vraisemblablement une variation pour piano de l’ouverture de l’opéra de Wagner.
L’autre personnage, sur la toile, est sa mère en train de broder.
C’est une sorte d’hommage que Cézanne a voulu ainsi rendre à Wagner, qu’il admirait beaucoup et qu’il avait vraisemblablement découvert au début des années 1860 à Paris. Souvenons-nous qu’une version remaniée de Tannhäuser – créé en Octobre 1845 à Dresde – dite « de Paris » avait été montée à l’opéra Le Peletier le 13 mars 1861 grâce au soutien de la princesse Pauline de Metternich, épouse de l’ambassadeur d’Autriche ; malgré l’ajout d’un ballet après l’ouverture destiné à se concilier le goût des Parisiens, un chahut organisé par les habitués de l’opéra traditionnel avait provoqué un échec retentissant, qui avait incité Wagner à arrêter les représentations après la troisième.
Et Cézanne connaissait certainement le long texte que Baudelaire avait consacré à Wagner après cet échec, texte dont voici un extrait : « A partir de ce moment, c’est-à-dire du premier concert, je fus possédé du désir d’entrer plus avant dans l’intelligence de ces œuvres singulières. J’avais subi (du moins cela m’apparaissait ainsi) une opération spirituelle, une révélation. Ma volupté avait été si forte et si terrible, que je ne pouvais m’empêcher d’y vouloir retourner sans cesse. »
En rendant ainsi hommage à « la musique de l’avenir », Cézanne prêchait pour sa propre paroisse, à savoir pour « la peinture de l’avenir », lui dont un « portrait d’homme » avait été refusé au Salon de 1866. De plus, pourquoi ne pas penser que ces 2 femmes, l’une s’adonnant à sa passion et rêvant peut-être d’une vie d’artiste, et l’autre reprisant paisiblement, symbolisent Vénus et Elisabeth, l’enfer et le ciel ?
En conclusion, rappelons-nous lorsque ses amis venaient rendre visite à Baudelaire, à la clinique hydrothérapique du docteur Émile Duval où il avait été admis durant l’été 1866, ils jouaient pour lui des fragments de Tannhäuser sur le piano de la clinique.
Baudelaire décéda en août 1867, après une longue agonie.
Cézanne décéda en 1906 à Aix-en-Provence.
A noter que bien plus tard d’autres artistes tels que Kandinsky, Van Gogh, Picasso ou encore Dali furent eux aussi marqués par la musique de Wagner
Gilles ABITBOL (membre du Comité de Direction)