La canicule sévit un peu partout en Europe et n’ a bien évidemment pas épargné le Festival de Bayreuth où les tenues légères ont dorénavant remplacé les smokings empesés qui constituaient il n’y pas si longtemps un « dress code » incontournable. Les temps changent, et les mises en scène aussi, et la possibilité de les faire évoluer d’une saison à l’autre réserve pour le spectateur averti de forts belles surprises.
Le Tannhäuser signé Tobias Kratzer illustre parfaitement ce cheminement et les progrès étonnants que l’autocritique confère aux vrais metteurs en scène talentueux. Débarrassée de ses outrances et mieux centrée sur la psychologie des personnages la lecture de Kratzer, merveilleusement servie par la géniale direction de Nathalie Stutzman offre l’un des plus beaux spectacles vus à Bayreuth au cours des dix dernières années. Elle gomme les aspérités d’un goût douteux, met en exergue la passion de Wolfram pour Elisabeth et recalibre le destin de Tannhäuser et d’Elisabeth qui erreront pour l’éternité au paradis dans le vieux tub Citroën… Impossible dans ce court compte-rendu de ne pas évoquer le fantastique travail du vidéaste qui devient un acteur à part entière et réalise notamment au deuxième acte un invraisemblable exercice de virtuosité permettant aux spectateurs de saisir toutes les nuances et les péripéties de l’action scénique. Les performances vocales sont de très haute facture. Klaus Florian Vogt remplace Stephen Gould et campe un Tannhäuser sans doute moins romantique que son prédécesseur mais au timbre toujours aussi clair et envoûtant. Prendre la suite de Lise Davidsen n’est pas une mince affaire, Elisabeth Teige relève le défi avec panache, l’ampleur de l’émission est au rendez-vous et la cantatrice émeut tout son monde en s’abandonnant dans les bras de Wolfram qu’elle imagine en Tannhäuser… Ekaterina Gubanova s’avère aussi sautillante et délurée que la fantasque Elena Zhidkova et Markus Eiche reste un Wolfram crédible, même s’il ne peut faire oublier les récentes incarnations de Roman Trekel. Comme toujours à Bayreuth la performance des chœurs s’avère exceptionnelle, foin de toutes considérations techniques, disons de manière simple et abrupte que chaque intervention de cette prestigieuse phalange donne la chair de poule et met le poil au garde à vous… Reste la direction de Nathalie Stutzman qui recueille aux saluts une ovation jamais entendue en ce théâtre, c’est à ma connaissance et dans mes souvenirs de vingt-cinq ans de présence continue à Bayreuth la première fois que l’apparition du chef génère des applaudissements cadencés de cette nature ce qui se passe de commentaires.
Ce spectacle de « top » niveau était précédé d’une performance du même acabit pour le Vaisseau fantôme dans la reprise de la fascinante mise en scène de Dimitri Tcherniakov. Si les femmes ont mis du temps à imposer leur présence dans la fosse d’orchestre, les hommes n’ont qu’à bien se tenir à l’avenir car la prestation de la toute menue Oksana Lyniv enflamme les gradins et dynamise le plateau sans offrir le moindre interstice de répit aux divers protagonistes. Pas de révolution scénique de fond chez Tcherniakov qui propose une version très peu retouchée. Le fantastique tandem composé par Michael Volle ( le Hollandais) et Elisabeth Teige (Senta) entraîne le spectacle au firmament de l’art lyrique. Lui est solide comme un roc, sait aussi trouver des accents allégés, alanguis ou poétiques et s’affirme aujourd’hui comme la référence du rôle. Elle, a su prendre la relève de l’étonnante Asmik Grigorian en habitant son personnage d’une énergie qui s’exprime grâce au prisme d’un timbre solaire et d’une ligne de chant conquérante et agressive. Dans le sillage de ces deux volcans Georg Zeppenfeld (Daland) fait valoir sa parfaite diction et arbore un timbre aux belles couleurs argentées, tandis que les deux ténors Tansel Akzeybek (Le pilote) et Tomislav Muzek (Eric) rivalisent d’aisance dans les notes les plus exposées. Au final plus de vingt minutes d’applaudissements saluent ce spectacle toujours magnifié par l’exceptionnelle prestation des chœurs devenue habituelle sous la latitude de Bayreuth.
Comparé à ces deux « top » de l’édition 2023 du Festival de Bayreuth, le Parsifal signé Jay Scheib et dirigé par Pablo Heras-Casado a quant à lui fait un véritable « flop ». Plusieurs raisons expliquent le pourquoi de ce ratage dont Bayreuth a le secret… Tout d’abord l’effet de réalité augmentée semble avoir échoué, mes voisins porteurs de lunettes les ont vite abandonnées et m’ont décrit une vision de sacs plastiques, silhouettes sinistres et insectes volants sans grand intérêt. Mais la lecture perçue « sans lunettes » de Jay Scheib est quasi indigente, dénuée apparemment de toute idée nouvelle, bizarrement affublée de tous les poncifs surexploités, et comble de tout dépourvue des innovations technologiques que l’on était en droit d’attendre.
Il ne se passe rigoureusement rien dans ce Parsifal, les costumes sont sans queue ni tête, et pour couronner l’absence de consistance du propos , le dernier acte tente de se rapprocher d’une vague idée de protection de l’environnement en exposant un monstre d’acier sans doute conçu pour creuser des tunnels, mais qui ne fait que creuser l’ineptie du propos… En prime, si l’on peut dire, l’esthétique des tableaux est déplorable, un vrai concours de laideur, et des lunettes fumées auraient sans doute étaient plus appréciées des spectateurs !
Dans la fosse les choses ne vont guère mieux avec un Pablo Heras-Casado mal à l’aise et manifestement peu familier des pièges acoustiques du lieu. Au premier acte les tempi paraissent désespérément longs et la tension dramatique, bien qu’allant crescendo, reste décevante. Le vrai talent du chef ibérique s’exprimera certainement mieux dans le futur lorsqu’il aura maîtrisé les pièges de l’inertie et du temps de transmission des sons qui caractérisent cette salle si particulière.
Le plateau fait de son mieux pour limiter les dégâts, et donner un peu de relief au spectacle mais l’immense talent d’ Andréas Schager sied mieux à Siegfried qu’à Parsifal et la Kundry fort respectable d’Elena Gubanova n’éclipse pas ses devancières notamment Elina Garanca.
Le reste de la distribution affirme une réelle présence avec l’incontournable Gurnemanz de Georg Zeppenfeld, Jordan Shanahan, Klingsor aussi détonant que percutant, et Derek Walton efficace dans son expression de la douleur plaintive d’Amfortas.
Au final donc deux « top » et un flop pour cette édition 2023 du Festival de Bayreuth qui consacre le talent des femmes pour la direction d’orchestre.
Yves Courmes.
14 au 16 août
crédit photographique : © Enrico Nawrath / © Bayreuther Festspiele