En nous rendant en Principauté de Monaco pour assister à Boris Godounov, nous ne
pouvions nous empêcher de penser que l’Opéra de Monte-Carlo avait accompli un
exploit et relevé un challenge quasiment unique en Europe en assurant la totalité
d’une saison lyrique en ces temps où la pandémie a sonné le glas de la vie culturelle.
Carmen au mois de novembre, suivie de I Due Foscari en décembre, Thaïs en janvier,
Belcanto et Le Comte Ory en février, I Lombardi alla prima crociata en mars et ce
Boris Godounov en avril ont constitué une saison aussi riche, variée qu’électrisante
avec quelques-unes des plus emblématiques stars de l’art lyrique comme Placido
Domingo, Francesco Meli, Anna Pirozzi, Ludovic Tézier, Jean-François Borras, Marina
Rebeka, Karine Deshayes, Cécilia Bartoli, Nino Machaidze, Michele Pertusi … Difficile
de rivaliser avec de tels « casts » !…
Ce fut, aux dires de Jean-Louis Grinda, directeur de l’Opéra, un véritable « combat »
pour mener jusqu’à son terme cette saison hors du commun. « Pour obtenir cette
chance, il a fallu un travail acharné de tous les jours, depuis nos concerts en tournée
le 18 août dernier à Ravello jusqu’au dimanche 2 mai à Monaco. A chaque production
nous avons eu des cas positifs parmi le personnel artistique, technique et
administratif. Nous avons testé, isolé, protégé et nous avons joué ! Ceci n’a été rendu
possible que par l’investissement sans faille de tous et, notamment, du sommet de
l’État. Cette saison aura à jamais un parfum spécial teinté de fierté et de mélancolie.
J’exprime à nouveau ma solidarité avec l’ensemble des artistes et techniciens qui
n’ont pu s’exprimer devant un public malgré la volonté courageuse de mes collègues.
Un espoir se lève, ne le gâchons pas » (Jean-Louis Grinda).
Pour en venir à Boris Godounov, ce fut, suivant l’opinion de beaucoup, le clou de cette
magnifique saison 2020-2021 (même si Thaïs se situe à cette hauteur) et qui
confirme, si besoin était, que l’Opéra de Monte-Carlo se classe incontestablement
parmi les salles les plus prestigieuses de la planète. Les privilégiés qui ont pu assister
à ces représentations ont, pour la plupart d’entre eux, découvert cette version
« primitive » de Boris Godounov que Modeste Moussorgski avait composée en 1869 à
l’âge de 30 ans. Le compositeur proposera une « seconde version » au théâtre
Mariinski de Saint-Pétersbourg en 1874. Celle-ci fut révisée et ré-instrumentalisée par
Nicolaï Rimski Korsakov en 1896 puis en 1908, avant que Dimitri Chostakovitch
propose à son tour une nouvelle orchestration de l’œuvre en 1939. La version
primitive de 1869 est relativement courte puisqu’elle elle excède de peu les deux
heures. Elle est découpée en 7 tableaux (la cour du monastère de Novodiévitchi à
Moscou, la place du Kremlin pour le couronnement de Boris, la cellule du monastère
du Miracle avec la scène entre Pimène et Grigori, l’auberge à la frontière russolituanienne avec les moines errants Varlaam et Missaïl, les appartements du tsar avec
les enfants Xénia et Féodor, le parvis de la basilique Saint-Basile à Moscou pour la
scène entre Boris et l’Innocent et, enfin, la salle du Kremlin et la mort de Boris). Bien
entendu, cette version ne comporte pas l’acte dit « polonais » avec le long duo
d’amour entre Grigori et Marina. Ainsi « ramassée », cette version se circonscrit
essentiellement aux relations entre le tsar et son peuple avec une mise en scène qui,
en la circonstance, partage le plateau en deux dans le sens de la hauteur.
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