LOUIS OSTER, UN GRAND SERVITEUR DE LA MUSIQUE

Disparu voici quelques jours à l’âge de 94 ans, l’avocat strasbourgeois aura parcouru nombre de salles d’opéra de la planète durant huit décennies. Doté d’une mémoire phénoménale, il utilisait son impressionnant carnet d’adresses pour soutenir l’art lyrique. Portrait d’un grand seigneur, ayant toujours œuvré pour le bien commun et l’accès de la jeunesse à la culture musicale de haut niveau.

L’hommage du Dr. Philippe Olivier

Il aurait mérité de figurer au Guinness Book of Records. Il avait assisté à six mille représentations d’opéra et s’était rendu dans 126 théâtres lyriques, ceux du Canada, du Chili et du Japon inclus. Louis Oster se souvenait d’une hésitation – en scène – de Régine Crespin en 1954, d’un dysfonctionnement de décor à la Scala de Milan en 1976, des sourcils froncés de Riccardo Muti en concert avec Jessye Norman ou de la couleur du bouquet offert à Renée Fleming après une apparition à Vienne voici une décennie. Il avait toujours un avis nuancé, ne s’emportait jamais et œuvrait pour le bien commun. Cette particularité devait progressivement lui donner une image singulière, au fur et à mesure de l’avancée de l’égoïsme, du quant-à-soi et du mépris d’autrui parmi la société européenne.

J’ai eu la chance de rencontrer Louis Oster à Strasbourg, au début des années 1990. Catherine Trautmann, maire socialiste de la capitale alsacienne depuis peu, m’avait désigné pour faire entrer l’orchestre philharmonique local dans la modernité. Contrairement à ce qu’on aurait pu s’imaginer à première vue, Louis Oster – issu de la bourgeoisie d’une région obsédée par le passé – ne fut pas défavorable à cette décision. Il était pourtant au nombre des opposants politiques notoires à Catherine Trautmann. Il s’investit sans arrière-pensée dans cette indispensable mutation. Il appartenait alors aux personnalités les plus influentes de Strasbourg. Sa carte de visite était conséquente. Y figuraient les mandats de bâtonnier et de fondateur de l’École des avocats, de vice-président du Comité économique et social d’Alsace, comme de président de la Banque populaire de la région économique de Strasbourg.1

L’engagement passionné de Louis Oster pour la musique était d’une telle densité que – chez lui – tout était simple à réaliser, en dépit d’un contexte local d’une complexité et parfois d’une noirceur rares. Il le prouva, en 1985, en fondant le Cercle Richard Wagner de Strasbourg (CRWS). Fort d’environ 600 membres, il est encore aujourd’hui l’un des mieux lotis du monde sous ce rapport. Adepte d’un certain despotisme éclairé si les circonstances l’exigeaient, le président Oster ramena une forme de calme quand commencèrent – parmi les adhérents du CRWS – d’âpres débats au sujet des mises en scène ultramodernes d’opéra.

Je pris la mesure de son autorité quand j’étais invité, comme représentant du maire de Strasbourg, au conseil d’administration du CRWS. Une fois que le président avait parlé, les affrontements esthétiques cessaient. On cessait de grommeler contre Ruth Berghaus (1927-1996) ou Luciano Berio (1925-2003). En ce qui concerne les compositeurs dits d’avant-garde, Louis Oster avait des relations personnelles avec Pierre Boulez (1925-2016) et Krzysztof Penderecki (1933-2020).2 Je me souviens d’un dîner donné au restaurant Le Crocodile par Odile, sa regrettée épouse et lui-même, en l’honneur de Krzysztof Penderecki. Les petits marquis et autres félons-miniature de l’Alsace profonde ne s’y seraient pas sentis à l’aise.

Louis Oster aimait entreprendre. Il le montra quand, en 2010, naquit le Cercle Richard Wagner rive droite de Nice. Il soutint son apparition avec une sollicitude manifeste. Il procéda à l’identique lorsque l’Université de Strasbourg suscita, à la même époque, la création d’un Cercle Richard Wagner junior. En effet, Louis Oster savait que la jeunesse est une période déterminante d’éclosion. Avant même de contrôler la section strasbourgeoise des Jeunesses musicales de France, il avait pleinement conscience de la chance exceptionnelle qu’il avait eue à Zürich en 1946 pour avoir aidé … Richard Strauss à traverser une rue ! L’illustre compositeur l’invita à prendre le thé à l’Hôtel Baur au Lac. Il lui offrit plus tard une page d’esquisses d’Ariane à Naxos. Elle devint l’un des trésors de la collection d’autographes musicaux de Louis Oster. Il me les montra plusieurs fois, après avoir ouvert certain coffre-fort. Franz Lehár, Giacomo Puccini, Francis Poulenc et Richard Wagner s’ y trouvaient aussi protégés.

Fasciné par Parsifal dès l’âge de 12 ans ( !), Louis Oster se lia d’amitié avec Wolfgang Wagner (1919-2010), petit-fils du compositeur et directeur du Festival de Bayreuth. Son entregent conduisit à l’établissement de relations concrètes entre Bayreuth et Strasbourg. Il y eut – entre autres – dans la métropole alsacienne le premier des Concours internationaux de chant wagnérien, des inaugurations de plaques commémoratives, l’exposition Richard Wagner vu de France à la Bibliothèque nationale et universitaire. Les visites de Wolfgang Wagner étaient attendues avec impatience. Je me rappelle d’une plaisante discussion avec lui et Louis Oster à l’Hôtel Hilton, ayant duré jusqu’à 4 heures du matin. Wolfgang Wagner nous parla d’Arturo Toscanini – convié à la table de ses parents quand il avait 11 ans – et exprima son admiration pour Claude Debussy. La conversation se déroulait en allemand.

Ayant été élevé dans l’Alsace encore germanophone des années 1930, Louis Oster était un agréable bilingue. Sa façon de travailler – très carrée – procédait d’une éducation de type germanique et de l’empreinte des quelques années qu’il passa dans un établissement d’enseignement du canton de Fribourg. Son délicieux côté mondain – mais ouvert à tout un chacun – penchait pour son côté très français. Il fut question, à plusieurs reprises, qu’il puisse devenir maire de Strasbourg, désormais symbole d’une certaine réconciliation entre la France et l’Allemagne.3 Mais Louis Oster préférait le métier d’avocat et les voyages fréquents, entrepris par passion de l’art lyrique. Il recherchait les ouvrages rarement représentés. Nous nous rendîmes ainsi au Festival de Wexford – en Irlande – pour y voir La Wally de Catalani ou à l’Opéra de Berne afin d’y entendre Tiefland, une partition signée Eugen d’Albert (1864-1932). Comme les déplacements du CRWS, qu’ils soient lointains ou dits de proximité, cette association était presque devenue une agence de voyages. Elle disposait d’un bureau en plein Strasbourg et d’une secrétaire bénévole à mi-temps.

Ayant la chance de pouvoir dormir peu, Louis Oster était un travailleur infatigable. Il signa, en l’espace d’un demi-siècle, plusieurs livres.4 Il n’avait que 23 ans au moment de la parution des Opéras du répertoire courant, ouvrage réédité pendant des décennies.5 Suivit rapidement un volume intitulé Les opérettes du répertoire courant.6 Désormais, Louis Oster peut être comparé à l’un des personnages de Saint-François d’Assise, le gigantesque opéra d’Olivier Messiaen (1908-1992). Comme l’a dit voici quelques jours l’un de ses collaborateurs, « il a rejoint le royaume de la musique céleste. » Mais il est aussi entré dans nos cœurs pour toujours.

Dr Philippe OLIVIER

11 novembre 2023

1 Catholique pratiquant, Louis Oster était parvenu à une haute fonction de ce type dans une région où la conduite supérieure des établissements financiers échoit – par tradition – aux adeptes du protestantisme. L’Alsace est l’épicentre des Églises luthérienne et réformée en France. Elle génère ce que les sociologues nomment la H. S. P., acronyme désignant la haute société protestante. Des personnalités comme Catherine Trautmann ou Étienne Trocmé (1924-2002), spécialiste émérite du Nouveau Testament, en sont issues.

2 Louis Oster soutint avec enthousiasme le projet franco-allemand de la construction d’un nouvel Opéra à Strasbourg, projet approuvé par la Chancelière Angela Merkel (*1954) et béni par Pierre Boulez. Mais le maire de Strasbourg – Roland Ries (*1945) – fit la sourde oreille.

3 L’annexion de l’Alsace au 3ème Reich entre 1940 et 1944 fut saluée, par un membre de la famille de Louis Oster, comme un événement magnifique. Ce personnage – un haut fonctionnaire – se compromit de manière ostensible avec le régime nazi. Il fut condamné lourdement après la Libération. On ne saurait exclure que les scories d’un tel comportement, dont il n’était en rien responsable, empêchèrent Louis Oster de briguer des mandats politiques de grande envergure.

4 Le dernier d’entre eux fut – en 2008 – un Guide raisonné et déraisonnable de l’opérette et de la comédie musicale, écrit avec Jean Vermeil. Il parut chez Fayard.

5 Louis Oster : Les opéras du répertoire courant, Éditions du Conquistador, Paris, 1951.

6 Louis Oster : Les opérettes du répertoire courant, Éditions Gérard Billaudot, Paris, 1953.

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