Festival de Bayreuth 2023 — La mise en scène environnementaliste de Parsifal

 

Les chevaliers du Graal, le lac chimique et l’excavatrice© Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

 

 

Un homme s’approche et se met à marteler une pierre qui se brise en morceaux. Des carreaux verts et jaunes deviennent des lacs toxiques colorés de couleurs chimiques étranges. Des métaux lourds sont extraits des pierres qui les contenaient. Il est question d’extraction de métaux comme le cobalt ou le lithium, des métaux qui empoisonnent si on en inhale leurs poussières. Les chevaliers du Graal sont des mineurs à la recherche de cobalt et de lithium. Leur travail les rend malades. Si le cobalt s’extrait des métaux, le lithium, si nécessaire aux batteries, est un métal alcalin blanchâtre qu’on retrouve dispersé aussi bien dans des roches que dans des saumures. Au troisième acte, une énorme excavatrice occupe le côté gauche de la scène. Le Saint Graal de la mise en scène de Jay Scheib n’est pas la coupe qui a recueilli le sang du Christ, mais un losange de cobalt bleu de grand volume que Parsifal finira par détruire en fin d’opéra en le jetant avec force sur le sol, ce qui le pulvérisera. Le libérateur tant attendu par les chevaliers est un environnementaliste qui veut mettre fin à l’extraction des métaux lourds.

 

 

Le monolithe © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

 

 

Un grand monolithe métallique attire les regards au premier acte. Il se dresse au milieu d’un plan d’eau. Est-ce un lingam qui s’élève d’un yoni ? La mise en scène met en place des objets dont pourront s’alimenter nos fantasmes. Ainsi de ce grand cercle métallique porteur en son pourtour de néons en rayonnement excentré. Posé sur le sol, il s’élève dans les airs, puis en redescend. Il a valeur symbolique mais quel est le concept dont il est l’image ? Certains y ont vu le château du Graal, d’autres un ostensoir, stylisé d’autres encore la couronne d’épines du Christ. Toutes ces interprétations renvoient au spirituel ou au sacré.

 

 

Amfortas et Titurel, un écuyer contemple le Graal © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

 

 

La blessure d’Amfortas, christique par son emplacement au flanc et à la fois antéchristique par son origine pécheresse, est également un élément clé de la mise en scène. Jay Scheib utilise des agrandissements vidéos géants filmés en live par trois au quatre cameramen plus ou moins cachés, soit qu’on ne les voit pas soit qu’ils sont habillés de mêmes tenues que celles portées par les chanteurs. Les vidéos sont diffusées sur un écran gigantesque qui occupe tout le fond de scène : la blessure sanguinolente est projetée en d’immenses images, ainsi que les soins qu’on tente d’y apporter. La blessure est un thème récurrent : on verra également les blessures du cygne tué par Parsifal, mais aussi le vêtement rougi de Parsifal porteur d’une grande tache au niveau du flanc. Les vidéos nous permettent aussi d’observer les visages ou la gestuelle des acteurs. Ainsi du long filmage de la main de Kundry qui exprime son désarroi, son combat intérieur.

 

 

Le monde de Klingsor et des filles-fleurs© Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

 

 

Le deuxième acte nous entraîne dans un autre monde, celui de Klingsor et des filles-fleurs, un monde violemment peinturluré. Les filles-fleurs sont effrayantes de par leur sensualité lascive qui va jusqu’au vampirisme. Ces jeunes femmes ont de longs cheveux ondulés et sont vêtues de satins roses ou vêtements aux motifs rouges, Certaines ont les seins nus décorés de fleurs peintes. Ici aussi le jeu des vidéos nous offre des plans rapprochés agrandis. Le tableau d’ensemble est du plus bel effet. Klingsor en costume rose a un côté androgyne avec ses souliers à hauts talons. Il se couvrira la tête d’un couvre-chef métallique brillant et miroitant à cornes sataniques. La composition du personnage l’assimile à un travesti. Il s’autocaresse avec sensualité et flatte la lance de Longin comme s’il s’agissait d’un objet phallique.

Le sexe est partout. Et même, ce que le livret de Wagner ne nous semble pas suggérer, dans le personnage éminemment moral de Gurnemanz qui, lors de la première scène se voit approché par un écuyer, ici joué par une femme qui a la même chevelure bicolore que Kundry. Leurs corps se mêlent jusqu’au baiser, puis Gurnemanz se dégage. Il a préservé sa pureté mais s’est montré faillible, ce qui humanise son personnage. Kundry justement dont la bipolarité est exprimée par cette chevelure blanche d’un côté, noire de l’autre. Et qu’on verra arborer ensuite une chevelure entièrement noire, puis, au moment du lavement des pieds et de la sagesse, des cheveux blanchis. Le contact physique avec Parsifal existera jusqu’à la fin, mais on sera passé de la lascivité à la tendresse et à l’amour compassionnel.

Le propos de la mise en scène qui actualise le message de délivrance et de salvation de Parsifal en le mettant en phase avec nos problématiques contemporaines a le mérite d’être cohérent. Sans doute faut-il prendre le temps de le comprendre, et pour ce faire le programme et un rebalayage de la vidéo du spectacle sont bien utiles.

 

Luc-Henri ROGER

25 Juillet 2023

Crédit photographique © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

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