Le Chercheur de trésors de Franz Schreker à l’Opéra national du Rhin

Le Chercheur de Trésors (Der Schatzgräber) de Franz Schreker est l’un des opéras les plus importants des années 1920. Sa première à Francfort en 1920 a été un succès sensationnel, et pas moins de 44 productions ont suivi dans divers théâtres au cours des cinq années suivantes, essentiellement dans la République de Weimar.

Franz Schreker, figure incontournable de l’opéra de cette époque, y développe sa foi en l’art, seule voie de salut pour l’humanité, dans une partition aux splendides couleurs postromantiques, derniers feux d’un monde crépusculaire. On y trouve du Strauss, du Wagner, Debussy et même Puccini…Mais ce succès va s’arrêter lorsque les nationaux-socialistes viennent au pouvoir et interdisent alors les représentations, car les opéras de Schreker ne semblaient plus correspondre à l’esprit du temps, et les partitions ont finalement disparu dans les tiroirs. Et même après 1945, il fallut attendre longtemps avant qu’une renaissance de Schreker ne commence.

Ce soir, cette œuvre de Schreker est présentée pour la première fois en France, dans une mise en scène de Christof Loy, sous la direction musicale de Marko Lertonja, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg.

Ce n’est la première fois que l’Opéra National du Rhin propose une œuvre de Franz Schreker, car en 2012, fut présentée une autre de ses œuvres Der Ferne Klang (le son lointain).

Schreker s’est inspiré de son propre livret, en 1915, lorsqu’il a commencé à écrire cet opéra, mais en utilisant les nouvelles associations freudiennes de l’époque.

Il s’agit, là encore, de la convoitise pour l’or et de la pulsion humaine de reconnaissance érotique qui s’exerce dans toutes les sociétés, et conduit les hommes à leur perdition.

L’intrigue du Chercheur de trésors est celle d’un conte de fées sensuel à tiroirs qui tourne mal. Dans un royaume autoritaire, une Reine se fait voler ses bijoux et tombe dans une profonde dépression. Sa beauté a disparu, tout comme sa volonté de vivre et sa fertilité. Le bouffon de la cour conseille au Roi de faire appel au ménestrel Elis, qui possède un luth enchanté. En effet, il les trouve dans la forêt près du cadavre d’un noble et les remet à la fille de l’aubergiste, Els. Mais c’est en effet, elle qui avait ordonné au noble de lui voler les bijoux en signe de dévotion, puis l’avait fait assassiner. Et cela s’est produit plus d’une fois. Le pauvre Elis est accusé à tort de tous ces crimes mais échappe de justesse à la potence. Il tombe fou amoureux d’Els, qui s’offre à lui et oublie, le temps d’une nuit, sa soif d’or pour s’abandonner au véritable trésor de l’amour.

Le metteur en scène Christof Loy nous présente ainsi un paysage de rêve dans un monde plein de cupidité, de meurtres et d’instabilité émotionnelle. Le drame semble se dérouler au début du XXe siècle (l’époque même de Schreker). Loy a confié au scénographe Johannes Leiacker, la mise en scène de cette histoire, qui se passe dans un bel intérieur de marbre noir, veiné de blanc, aux allures de palais style Art déco.

Les costumes de Barbara Drosihn sont impeccables : robes élégantes très glamour, smokings raffinés et uniformes, rappelant ceux de la Wehrmacht.

La direction d’acteurs est bien soignée, avec de nombreux tableaux esthétiquement très réussis (l’étreinte d’Elis et d’Els dont on aperçoit les silhouettes dans l’embrasure d’une grande porte).

Le metteur en scène Christoph Loy a réussi à faire un spectacle beau, esthétique et intelligent, jusque dans la scène d’orgie, presque surréaliste, voluptueuse où toute la cour se mélange. Les changements de costumes d’Els rendent bien la dimension sociale du livret : elle passe de serveuse en tablier à grande dame en robe luxueuse, pour finir dans un dépouillement vestimentaire total lorsqu’elle a rendu les bijoux à la Reine.

Le plateau vocal, impressionnant et de très grande qualité, a également rendu justice à l’œuvre monumentale de Schreker.

Rompue à ce répertoire, la soprano finlandaise Helena Juntunen (superbe Salomé à l’OnR en 2017) est une Els à la voix puissante, aux aigus stridents proches du cri, en somme, un beau chant passionné. Avec son jeu plein de sincérité elle incarne à la fois, la femme fatale, l’enfant rêvant d’un monde merveilleux, puis l’angoisse de la femme partagée entre l’amour et la soif de l’or.

Le ténor Thomas Bondelle, un habitué de la scène strasbourgeoise (Parsifal en 2020) campe un Elis plein d’ardeur, avec un jeu beau et délicat. Il maîtrise sans effort, les exigences vocales du rôle, alternant chuchotements, mezza voce, avec un lyrisme clair à la diction limpide, surtout dans les ballades qu’il chante avec de beaux pianissimi.

Le ténor « de caractère » Paul Schweinester, incarne un bouffon énergique, mais avec beaucoup de sensibilité, alternant cabrioles et statisme. Ses aigus sont légers, mais demeurent parfois un peu secs et surtout la vigueur vocale a tendance à s’essouffler à la fin du dernier acte. Cependant, il a su faire de son personnage un clown triste et attendrissant.

Tous les seconds rôles sont tenus avec finesse et chantés impeccablement du plus important au plus petit. A commencer par le baryton Thomas Johannes Mayer, remplaçant au pied levé Kay Stiefermann atteint du Covid, est un Bailli autoritaire, dévoilant une diction parfaite et des fortissimo vigoureux. Il a d’ailleurs été longuement ovationné, lors des saluts. En aubergiste, la basse Per Bach Nissen révèle une voix belle et chaleureuse. Derek Welton est très crédible vocalement et scéniquement dans le rôle du Roi. Le ténor Glen Cunningham (nouvel artiste de l’Opéra Studio) est un greffier très vivace.  Le baryton James Newby incarne, quant à lui, un gentilhomme aussi séduisant qu’ignoble, avec une voix bien projetée.  Ancien artiste de l’Opéra Studio, le baryton Damien Gastl campe un Comte sûr de lui, dont la voix gagne en force et puissance tout au long de l’œuvre et possède une prononciation exemplaire. La danseuse et chorégraphe Doke Pauwels, incarne le rôle muet de la Reine, vêtue d’une robe de mariée. Sa démarche est souple et langoureuse, mais elle semble dénuée de personnalité.

Les Chœurs de l’Opéra National du Rhin, sont toujours aussi performants et malgré quelques difficultés de synchronisation, peuvent enfin démontrer, une fois de plus, leurs incontestables qualités au dernier acte.

Sous la baguette fine et combien efficace de Marko Letonja, les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, heureux de retrouver leur ancien directeur musical (et ça s’entend !!!) font briller la musique de Schreker, grâce aux timbres du célesta, des sons harmoniques des violons et de la harpe. Marko Letonja rehausse toute la partition foisonnante de la musique de Schreker, surtout pendant l’interlude plein d’érotisme du 3e acte, créant un magnifique équilibre et surtout sans jamais couvrir les voix. On a senti et ressenti le bonheur des retrouvailles entre Marko Letonja et les musiciens du « Philhar ». Un moment de pur ravissement !!!

On ne sort jamais indemne d’un opéra de Schreker. Comme l’a précisé Alain Perroux, Directeur général de l’Opéra National du Rhin, « la partition est exigeante et la musique vous submerge ». Ce fut le cas ce soir.

Conquis et fasciné par cette interprétation magistrale, le public a longuement acclamé les artistes et ce chef d’œuvre si longtemps oublié de Schreker, en cette première française à l’Opéra National du Rhin.

Marie-Thérèse WERLING

28 octobre 2022

Petit extrait YouTube :

https://youtu.be/nEVcT1yu934

Reprise du spectacle  à Mulhouse –La Filature

27 novembre à 15h et .29 novembre à 20h

https://lafilature.notre-billetterie.org/billets?kld=1&lg=FR&seance=5672

Pour vous familiariser avec l’œuvre, le spectacle sera précédé d’un prologue par Alain Perroux, une heure avant chaque représentation.

En partenariat avec France 3 Grand Est.
Enregistré par France Musique pour diffusion le 26 novembre à 20h dans Samedi à l’Opéra
présenté par Judith Chaine

Crédits photos © Klara Beck-OnR

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