ENFIN! Après deux ans d’attente – pandémie oblige – “la Galinière”, sous le ciel de Provence, non loin de la mythique Sainte-Victoire, accueillait les pèlerins wagnériens de tout âge, en quête de la béatitude du Graal.!!!…
Michèle BESSOUT saluait les participants, rappelant le succès du premier colloque de 1995 au Couvent Royal de Saint-Maximin, “Wer ist der Graal”, dans le souvenir de nombreux amis disparus depuis.
Notons, ce jour, la présence de la “mémoire vivante” de Bayreuth : Elizabeth SALICIS (93 ans), ses cinquante ans de festival, ainsi que celle de Mrs. Andrea BUCHANAN, vice-présidente du cercle international, représentant nos amis wagnériens d’outre-manche.
Mais place à l’étude et à la quintessence de nos rencontres.
Patrick BRUN rappelle en préambule que dans Parsifal, on célèbre un “mystère” au sens antique du terme, un “Festival Scénique Sacré” et nous invite à suivre ce drame mystique et initiatique.
Hommage à maître Michel QUIMINAL, co-animateur avec Patrick BRUN du colloque de 1995 et auteur du livre l’Alchimie wagnérienne, dont Patrick BRUN s’inspirera largement pour la suite.
Après le prélude dont les mesures exaltent la Foi, l’Espérance et la Charité, l’analyse du premier acte se déroule devant un public très attentif : rôle et fonction de la Sainte Lance, complémentaire et inséparable de la coupe du Graal ; faute et déchéance d’Amfortas, le roi pêcheur ; arrivée de l’innocent Parsifal qui connaît sa première épreuve initiatique, son évanouissement après que Kundry ait lancé: “sa mère est morte”. Ensuite, la montée vers l’univers de Monsalvat où les lois du temps et de l’espace changent, le rite du Graal avec le thème envoûtant de la “béatitude du Graal” que Wagner fait intervenir une fois seulement dans chacun des actes de l’ouvrage.
Après le déjeuner, projection du premier acte de Parsifal, version de Bayreuth 1981, avec une mise en scène naturaliste de Wolfgang WAGNER conforme aux indications de son grand-père.
Après dîner, chacun se presse pour suivre le film muet de 1913 retraçant la vie de R. Wagner (Karl Fröhlich); des images remarquables, avec des archives de Bayreuth.
Présentation du deuxième acte de Parsifal. Patrick BRUIN rappelle, pour commencer, les douches froides infligées par la modernité excessive de certains spectacles actuels et nous incite à retrouver les mises en scène intemporelles et symboliques (Wieland WAGNER par exemple). Mais quid d’une mise en scène idéale pour Patrick BRUN ?
Ce deuxième acte, justement, s’y prête tout à fait bien. Le royaume de Klingsor est en effet l’image inversée de Monsalvat, temple de la tradition classique et moyenâgeuse ; on pourrait y retrouver les traits de l’hyper modernité avec un magicien Klingsor devenu “pape du transhumanisme” évoluant dans la Silicon Valley ou à… Wu-Han (!!!). Les filles-fleurs, dépourvues de toute sensualité selon le vœu de WAGNER, ne sont rien d’autre que des OGM, séduisant Parsifal au travers d’une réalité virtuelle en images numériques ; au début de l’acte Kundry apparaît de surcroît en projection holographique conformément à la description qu’en donne WAGNER dans les didascalies. Klingsor, par ailleurs, représente à la perfection le “chacun pour soi”, l’égoïsme individualiste du monde contemporain qui s’oppose à la communauté organique des chevaliers du Graal.
Avec le baiser de Kundry, Parsifal va être envahi par un flot de compassion, c’est le deuxième évanouissement initiatique, la transmutation alchimique (cf. le livre de M. QUIMINAL). A la fin de l’acte , Parsifal s’empare de la lance et, sans violence, fait disparaître cet univers virtuel (il débranche la prise, en quelque sorte!).
Projection du deuxième acte de Parsifal, version MET 1992 dirigée par James LEVINE, mise en scène d’Otto SCHENK avec l’envoûtante Waltraud MEIER.
L’après-midi, au choix : projection du deuxième acte en version concert de 2019 dirigée par Valery GERGIEV, ou visite de la basilique de Saint-Maximin avec les reliques de Marie-Madeleine que WAGNER a identifiée à Kundry au troisième acte
Au retour : quelques curiosités pour étonner le public:
– Un document vidéo de 25 minutes sur la forêt et la grotte de la Sainte-Baume et les liens de Marie-Madeleine avec la légende du Graal.
– Un court extrait du premier acte de Parsifal donné au Vatican en 1954 devant le Pape Pie XII, battant la mesure et apparemment grand connaisseur de l’ouvrage!
– Un petit film d’archives de Patrick BRUN issu du colloque de 1995 au Couvent Royal qui nous permet de retrouver l’ambiance de la réunion et nombre d’amis disparus.
– Une vidéo de 16 minutes de Jean-Claude CHAZEAU consacrée aux quinze illustrations de Parsifal par Franz VON STASSEN accompagnée par le prélude du premier acte dirigé par TOSCANINI en 1935.
En bonus, quelques photos montrant l’implication de VON STASSEN dans le renouveau de Bayreuth en 1924 au côté de WOLZOGEN et de Siegfried WAGNER.
En soirée, projection du film de William DIETERLE Magic Fire (1954) retraçant la vie de Richard WAGNER.
Patrick BRUN présente la doctrine de la régénération chez WAGNER. Parsifal est précisément l’aboutissement de la pensée du compositeur sur ce thème. WAGNER, optimiste, croit à la régénération de l’humanité. Il voit le salut non pas dans une idéologie de la race, mais dans le sang du Christ qui “a coulé pour l’humanité tout entière et non pour une seule race” et permet d’unifier l’espèce humaine. Il faut pour WAGNER, mettre en place un “ordre éthique” universel, une société de “compatissants” dont la confrérie des chevaliers du Graal est le modèle : la pitié contre l’égoïsme.
Si la souffrance et l’épreuve peuvent être un enrichissement pour l’homme, elles n’apportent rien à l’animal, d’où l’obligation d’éviter de le faire souffrir et de promouvoir le respect de la nature en général. WAGNER est écologiste avant l’heure !
Pour accompagner l’exposé, Patrick BRUN propose l’audition de quelques raretés, genre archéologie sonore :
– Hermann WINKELMAN, créateur du rôle de Parsifal en 1882, dans Tannhäuser.
– Marianne BRANDT, créatrice du rôle de Kundry en 1882, dans Le Prophète de Meyerbeer.
– Alexander KIPNIS, l’homme à “la voix d’orgue” dans Gurnemanz à Bayreuth en 1927.
Présentation du troisième acte de Parsifal :
Quand le rideau s’ouvre, nous nous trouvons précisément en présence d’un désastre écologique : la forêt est dévastée, Gurnemanz vieilli et affaibli, Titurel mort, les chevaliers dispersés et Monsalvat ne “rayonne” plus. Après un long et douloureux chemin initiatique, Parsifal apparaît avec la lance et après avoir écouté le récit tragique de Gurnemanz, tombe dans le troisième évanouissement initiatique qui l’amène à l’illumination finale. La lance a enfin retrouvé son statut d’objet sacré.
Après un ensemble de rites purificateurs et consécratoires, Parsifal, libéré du poids de la culpabilité, devient roi-prêtre du Graal.
Dans le temple saint, la lance rougeoyante qu’il ramène s’unit au Graal dans la “radioactivité céleste” de la musique du Maître.
Mais R. WAGNER, en écrivant le final en la bémol (et non pas en la naturel, la tonalité propre du Graal) nous rappelle que Monsalvat n’est pas le paradis et que le mal et la douleur peuvent encore y pénétrer et toucher les chevaliers du Graal (cf. l’aventure de Lohengrin, fils de Parsifal). Citation, pour terminer, de la fin de la Belle Meunière de SCHUBERT “… Et le ciel, là-haut, comme il est loin.”
Projection du troisième acte de Parsifal dirigé par Guiseppe SINOPOLI et mis en scène de Wolfgang WAGNER.
La projection s’achève dans un long silence religieux, avec des participants quelque peu tétanisés. Cela rappelle ce qu’a vécu Gustav MAHLER lors de la première de Parsifal à Bayreuth en 1882: “En sortant du Fetstspielhaus, j’étais incapable d’exprimer mon émotion, mais je savais que le sommet, l’insoutenable, s’était enclos en moi et que je le conserverais en moi à travers toute mon existence”.
Plus tard, le jeune Alfred CORTOT, âgé de 19 ans, connaîtra une expérience similaire en 1896 après la fin du troisième acte.
Peu à peu, le silence et l’enchantement cosmique vont s’estomper chez les participants mais la grâce surnaturelle du Graal a encore opéré.
A 16 heures, Michèle BESSOUT sonne la fin du colloque et remercie les participants qui, encore envoûtés, se séparent et expriment le désir unanime de se retrouver pour d’autres rencontres aussi enrichissantes autour de Richard WAGNER dont “on n’a pas fini de rendre la monnaie” (trait d’esprit de Louis JOUVET évoquant le génie des grands auteurs).
Cette humilité devant l’analyse de l’œuvre de Richard WAGNER, Gabriel FAURÉ nous y invite en 1914: “Encore une fois, toute analyse est impossible pour expliquer certaine musique, les mots font défaut. Il faut écouter Parsifal, il faut écouter et regarder et se laisser gagner par l’indicible émotion.”
J.C. CHAZEAU
21 juin 2022 (1882/2022: 140e anniversaire de la création de Parsifal à Bayreuth)
PS: on pourra accéder à notre site ‘Planète Wagner”, où l’on trouvera des articles de Patrick BRUN et télécharger (onglet: le coin des fureteurs) l’alchimie wagnérienne de Michel QUIMINAL à l’adresse suivante: