ALCINA DE HAENDEL À L’OPÉRA DE MONTE-CARLO

©Marco Borrelli

 

En juin 2017 Cecilia Bartoli créait l‘événement au Festival de Pentecôte à Salzbourg (dont elle est la directrice artistique) avec Ariodante de Haendel dont elle interprétait le rôle-titre. Cette production était reprise à l’Opéra de Monte-Carlo en février 2019.

Par ailleurs, en janvier 2014, Haendel et Cecilia Bartoli étaient à l’affiche de l’Opéra de Zurich pour Alcina (1).

Il est intéressant de noter que le compositeur allemand (naturalisé anglais) composa plus d’une quarantaine d’opéras et presque autant d’oratorios et que seulement trois mois séparent la création d’Ariodante (janvier 1735) de celle d’Alcina (avril 1735) au Royal Opera House Covent Garden. (2)

Après son périple zurichois et parisien Cecilia Bartoli avait à cœur de présenter pour l’ouverture de sa première saison, en sa qualité de directrice de l’Opéra de Monte-Carlo, Alcina dans sa version scénique (3).

Points communs entre Ariodante et Alcina à Monaco : les Musiciens du Prince sous la baguette de Gianluca Capuano, les décors de Johannes Leiacker, les costumes d’Ursula Renzenbrink ainsi que Sandrine Piau et Péter Kálmán dans la distribution avec naturellement, en protagoniste, Cecilia Bartoli.

Christof Loy est aussi la cheville ouvrière de cette production. Réputé dans le monde de l’opéra comme dans celui du théâtre il a réalisé nombre de mises en scène depuis le répertoire baroque jusqu’aux compositeurs contemporains en passant par Mozart, les œuvres belcantistes, Berlioz, Verdi, Massenet, Wagner, Richard Strauss, Alban Berg… Au cours de l’été 2022 sa production du Triptyque de Puccini au Festival de Salzbourg (avec Hasmik Grigorian dans les trois rôles féminins) a été unanimement louangée. Nanti de multiples récompenses pour ses travaux, en octobre dernier, il a mis en scène, pour la première fois en France, Der Schatzgräber (Le Chercheur de trésors) de Franz Schreker à l’Opéra National du Rhin.

© Marco Borrelli

Comme dans Ariodante, il s’agit avec Alcina d’une mise en abyme du « théâtre dans le théâtre », les personnages en habits contemporains contemplant leurs « doubles » en costumes mythologiques (et interférant avec eux). Dans la narration scénique de l’univers baroque, les toiles – à la manière des peintres du XVIIe siècle – voisinent avec les dessous de scène encombrés, les envers de décors, ou encore le vaste appartement de trois pièces séparées chacune par des portes communicantes offrant ainsi aux protagonistes la possibilité de passer d’une pièce à l’autre et corrélativement d’alterner séquences dramatiques et scènes vaudevillesques (« mélange des genres » cher à Shakespeare) avec l’opportunité de chanter leurs airs isolés exprimant tour à tour leurs sentiments respectifs (amour, doute, espoir, jalousie, haine, vengeance, etc.). Christof Loy introduit de surcroît un personnage sorte de « double » d’Alcina, mais en plus âgée, qui, par effet de miroir vient lui renvoyer l’image de la réalité et la rappeler au subterfuge de la magie.

©Marco Borrelli

Cecilia Bartoli, dans un ouvrage qu’elle maîtrise comme personne, s’élève à des sommets de perfection qu’il s’agisse d’exprimer l’angoisse et les doutes de la trahison au deuxième acte « Ah ! Mio cor schernito sei » (« Ah ! mon cœur on se joue de toi ») sur l’accompagnement haletant de l’orchestre où ses pianissimi éthérés et quasi impalpables se mêlent à l’extrême émotion de l’héroïne, en passant par l’invocation des puissances infernales « Ombre pallide… » (« Ombres fantasmatiques, je sais que vous m’entendez ») dans laquelle le désir de vengeance confine à l’hystérie sollicitant une virtuosité sans faille nourrie d’une cascade de vocalises soutenues par l’ostinato des cordes à l’orchestre, jusqu’à « Mi restano le lagrime » (« Seules les larmes me restent ») de l’acte 3. Elle est alors seule sur le plateau, cernée par une poursuite, et au fur et, à mesure de cette aria de désespérance, la lumière baisse progressivement sur scène laissant expirer lentement la poursuite jusqu’à ce que tout soit plongé dans le noir. Un grand moment de théâtre et une magistrale leçon de chant. Un art suprême comparable a celui que la divine Maria Callas était parvenue à atteindre en son temps.

Dans ses doutes comme dans son exaltation Ruggiero trouve en Philippe Jaroussky (contre-ténor devenu, en plus de vingt ans de carrière, l’un des plus éminents spécialistes du chant baroque) un styliste accompli avec « Mi lusinga il dolce affetto » (« Ta douce affection me flatte »)  lequel, plus tard, phrase idéalement devant le rideau de scène sa rupture avec les contrées magiques  « Verdi prati selve amene… » (« Vertes prairies, bois enchanteurs, vous perdrez votre beauté… »

La mezzo-soprano Varduhi Abrahamyan s’est illustrée sur nombre de scènes lyriques en France,  (notamment Opéra de Paris et Théâtre des Champs-Elysées) ainsi qu’à l’étranger (Glyndebourne, Londres, Vienne, Zurich, New-York, Munich etc.) dans un large répertoire (Mozart, Rossini, Verdi, Bizet…) La qualité et la couleur ambrée de son timbre vont de pair avec son engagement et son aisance dans la vélocité de « Vorrei vindicarmi del perfido cor» (« Je voudrais me venger de ton cœur perfide ») comme dans la déclamation élégiaque de « All’alma fedele, l’amore placato… » (« A l’âme fidèle, apaisée par l’amour … »)

Philippe Jaroussky, Sandrine Piau, Varduhi Abrahamyan et Cecilia Bartoli. ©Marco Borrelli.

Sandrine Piau (Morgana) et Maxim Mironov (Oronte) forment un couple parfaitement assorti vocalement tous deux proches par la clarté de leur timbre comme dans la précision de leur articulation de héros mozartiens. « Credete al mio dolore » (« Croyez à ma douleur ») chante Morgana avec autant de conviction que de talent par la voix lumineuse de Sandrine Piau afin de convaincre Oronte de la sincérité de ses sentiments. Ce dernier s’éloigne néanmoins, au désespoir de son amante. Dans la scène qui suit de réconciliation (inattendue) le couple se rejoint et les gestes infinis de tendresse qu’ils se prodiguent sont dignes de ce que l’on peut voir dans un film, tellement l’interprétation culmine dans la justesse, démonstration évidente d’une direction d’acteurs exceptionnelle.

Péter Kálmán (Melisso) de sa voix sombre et chaleureuse de baryton-basse délivre au deuxième acte un remarquable « Pensa a chi geme…»(« Pense à celle qui gémit d’amour meurtrie ») à l’adresse de Ruggiero oublieux de ses sentiments pour Bradamante envouté qu’il est par Alcina.

Cupidon, fil conducteur de l’intrigue (symbole des amours qui se sont nouées entre les divers personnages), est interprété par Katharine Sehnert célèbre chorégraphe qui fut l’assistante de Pina Bausch.

Les Musiciens du Prince, en exceptionnelle osmose avec les chanteurs, sous la baguette expérimentée de Gianluca Capuano, offrent un écrin exceptionnel à cette distribution de luxe.

La chorégraphie, adroitement adaptée au fil des actes à « l’évolution temporelle », est signée Thomas Wilhelm.

©Marco Borrelli

Le public, par de longues ovations aux saluts, a réservé un juste triomphe à cette Alcina. La prise de fonction directoriale de Cecilia Bartoli concomitante à cette fabuleuse production est d’ores déjà entrée dans la légende de l’Opéra de Monte-Carlo.

Christian Jarniat

24 janvier 2023

(1) Reprises de la production d’Alcina à Zurich : décembre 2016/janvier 2017 puis décembre 2020/janvier 2021 et au Théâtre des Champs Elysées à Paris en mars 2018

(2) Les 2 ouvrages furent interprétés par une distribution identique

(3) Alcina avait fait l’objet à l’Opéra de Monte-Carlo en février 2016 d’une version de concert avec (déjà) Cecilia Bartoli et Philippe Jaroussky

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