Autre lieu, autre programme, mais mêmes chef et orchestre : après Tristan und Isolde il y a quelques jours au New National Theatre Tokyo, nous retrouvons Kazushi Ono et le Tokyo Metropolitan Symphony Orchestra dans un programme Alma Mahler et Anton Bruckner. Le concert se déroule au Suntory Hall, très belle et vaste salle dédiée aux programmes symphoniques.
La première partie est chantée, avec sept lieder composés par Alma Mahler, parmi les dix-sept aujourd’hui disponibles. Ces sept lieder, dans l’orchestration qu’en firent les frère David et Colin Matthews en 1995, sont d’ailleurs proposés en première japonaise ce soir. Nous retrouvons Mihoko Fujimura entendue le 29 mars en Brangäne, la mezzo-soprano disposant d’une bonne qualité d’allemand et d’un timbre ferme et homogène, mais pas toujours de la puissance nécessaire pour passer l’orchestre favorisé par l’acoustique du lieu.
Ces lieder, sur des textes en majorité autour du thème de la nuit, résonnent le plus souvent avec mélancolie et mystère. Le style, tonal et facile d’écoute, en est d’ailleurs tout à fait mahlérien, plus précisément on imagine sans difficulté ces pages écrites par Gustav Mahler. Voire un Richard Strauss pour la troisième ”Licht in der Nacht’ où les dernières paroles ”Schlafe, Herz ! Du hörst keine Stimme mehr” paraissent se rapprocher des Vier letzte Lieder. Certains passages sonnent plus léger et joyeux, comme le cinquième lied ”In meines Vaters Garten” et sa jolie mélodie à la clarinette, tandis que l’orchestre se fait très lyrique. L’équilibre entre chanteuse et orchestre est à son meilleur au cours des passages les plus doux. Il faut noter enfin l’exceptionnel silence du public tokyoïte pendant l’écoute, les spectateurs se lâchant toutefois entre les lieder par des toussotements et raclements de gorge collectifs très bruyants !
Anton Bruckner prend place après l’entracte, avec sa 3e Symphonie dans la version de 1877. L’acoustique très généreuse pour les musiciens se confirme dès les montées du premier mouvement où les cuivres sonnent comme des appels solennels de belle ampleur. Les passages plus délicats contrastent, comme les pizzicati d’une impressionnante coordination d’ensemble, ou encore les légers traits de flûte comme de petits moments avant la tempête orchestrale qui revient. On apprécie la maîtrise technique des instrumentistes dans le deuxième mouvement, andante aux splendides mélodies développées par un riche tapis de cordes. Tout juste remarque-t-on une note imparfaite attaquée au cor solo… une nouvelle preuve du caractère capricieux de cet instrument, aussi bien en Asie qu’en Europe ! Le scherzo oscille ensuite entre passages en majesté qui sollicitent cuivres et timbales, et moments plus légers et dansants. C’est aussi le cas du Finale en allegro, où les tutti nous paraissent sonner comme du Wagner, on pense en particulier à la toute fin du Götterdämmerung pour plusieurs mesures. L’effet est sans doute voulu par Bruckner qui a intitulé son opus « Wagner-Sinfonie » en hommage à son confrère et maître. Là encore, orchestre et chef sont en osmose, les instrumentistes mettant en œuvre idéalement toutes les nuances demandées par Kazushi Ono.
Irma Foletti
03 avril 2024
Direction musicale : ONO Kazushi
Mezzo-soprano : FUJIMURA Mihoko
Orchestre : Tokyo Metropolitan Symphony Orchestra
© Rikimaruhotta/TMSO