LA MUSIQUE CONTEMPORAINE ? UN HABIT D’ARLEQUIN …

Pierre Boulez et Philippe Olivier, Ircam, Paris 2000. Photo DR.

 

Comme j’ai eu le privilège de fréquenter des lustres durant Pierre Boulez (1925-2016), je m’intéresse fortement à la musique contemporaine depuis un demi-siècle. Je constate qu’il existe un décalage sans fin entre le public et les créateurs. Au temps de ma jeunesse – celle des années 1970 – une figure tutélaire comme Arnold Schœnberg (1874-1951) faisait encore peur. Nombre de créateurs inquiètent toujours autant. Mais n’est-ce pas le propre de leur identité ? Ainsi, les symphonies d’Anton Bruckner – dont on célébrera en 2024 le bicentenaire de naissance – sont-elles encore perçues comme pavées d’énigmes par beaucoup  de leurs auditeurs.

La musique contemporaine – un sujet immense – est variée, diverse. Elle diffuse des parfums très différents les uns des autres. Elle est produite par nombre de compositeurs tous à la tâche en divers pays. Le terme de musique contemporaine se rapporte néanmoins à des œuvres très élaborées, signées par des auteurs disposant d’un savoir-faire technique d’envergure. Il ne s’avère donc pas possible de classer un phénomène uniquement consumériste et superficiel comme Sofiane Pamart dans ce domaine.

Tandis qu’approche le début de la saison 2023-2024, la musique contemporaine sera présente sur divers territoires français. La Philharmonie de Paris et Radio France la valorisent. Des villes comme Strasbourg et Nice, les antipodes géographiques de l’Hexagone, la cultivent. La capitale alsacienne dispose, depuis 1982, d’une manifestation d’importance internationale en la matière grâce au Festival Musica, fruit des relations entretenues par une partie de son élite musicale avec l’Allemagne, temple de l’avant-garde à partir des années 1950. Entre les mains de Stéphane Roth, directeur artistique depuis 2019, Musica proposera cet automne une offre des plus variées. On y trouvera même des concerts au domicile d’interprètes ou une fusion du hip-hop avec une œuvre signée du Néerlandais Louis Andriessen (1939-2021). Musica recevra des institutions telles que le Quatuor Arditti ou l’Ensemble Intercontemporain. Le festival s’associera à l’Opéra national du Rhin pour la création mondiale de Don Giovanni aux Enfers, ouvrage du compositeur danois Simon Steen-Andersen (*1976). Il a inventé un monde à l’envers en s’inspirant des « crapules et autres voyous du répertoire lyrique ».

Ce menu alléchant, composé de nombre d’autres plats, est toujours analysé à l’avance avec minutie par des habitués fort attentifs. Certains d’entre eux connaissent aussi le paysage de la musique contemporaine à Nice, modelé par le compositeur Jean-Étienne Marie (1917-1989) à partir de 1978. Celui-ci lui voua les MANCA (Musiques actuelles Nice Côte-d’Azur), un festival dédié. Tandis que l’automne alsacien regardera vers les créateurs des pays d’Europe centrale et du Nord, l’automne maralpin s’orientera vers les États-Unis. Bertrand Rossi, le directeur de l’Opéra de Nice, y a programmé 200 Motels – The Suites de Frank Zappa (1940-1993), rocker légendaire ayant collaboré avec Pierre Boulez. Ce spectacle permettra de voir, entre autres, sur scène le fameux groupe des Percussions de Strasbourg. S’établit ainsi un lien avec la musique contemporaine américaine, la saison 2021-2022 de l’Opéra de Nice ayant commencé avec Akhnaten du répétitif Philip Glass (*1937).

Au début des années 1900, un ouvrage lyrique ayant été écrit dix ans auparavant était déjà considéré comme vieux. Telle fut toujours la conviction d’Arturo Toscanini. Méditons sur cette saine approche. Les salles de concert et d’opéra ne doivent pas être seulement des collections d’œuvres du passé. Elles doivent témoigner de notre temps.

Dr. Philippe Olivier
26 juillet 2023

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