L’HÉRITAGE WAGNER – BD

« LES FORCES IRRÉSISTIBLES DE L’AMOUR ABSOLU »

 

Une bande dessinée traite – pour la première fois – des amours de Wieland Wagner, légendaire metteur en scène et codirecteur du Festival de Bayreuth, avec la soprano Anja Silja. Observations diverses sur l’album signé Stephen Desberg et Emilio van der Zuiden.1

 

 

Devenue un art en soi, la bande dessinée (BD) peut être un moyen ludique de divulgation des événements historiques. Voici que, pour la première fois, elle aborde grâce à L’Héritage Wagner  la relation amoureuse ayant existé entre Wieland Wagner et la cantatrice Anja Silja. Le premier était le petit-fils de Richard Wagner. Il codirigea, avec son frère Wolfgang, le Festival de Bayreuth entre 1951 et 1966, l’année de sa mort. La seconde était une enfant de la balle, n’ayant jamais été scolarisée, ayant étudié l’art du chant avec son grand-père, un passionné de Wagner, ayant effectué des débuts professionnels à la fois spectaculaires et précoces dans le Berlin de l’immédiat après-guerre. La Silja donna son premier concert à l’âge de 10 ans.

Si, avec le temps, ces amours sont devenues une légende, elles eurent une dimension sordide aux yeux du clan Wagner de Bayreuth. Au moment de leur rencontre – en 1960 – Wieland est marié et père de quatre enfants. Gertrud et Winifred, respectivement épouse et mère de Wieland, s’en prennent vivement à la jeune beauté blonde. Elles l’accablent de noms d’oiseau. La presse à scandale s’empare de l’affaire. Pour le Belge Stephen Desberg (*1954), ayant un goût prononcé de la musique classique, et pour le Néerlandais Emilio van der Zuiden (*1967), auteurs de L’Héritage Wagner, la sexualité occupe un rôle considérable dans le récit. Elle y apparaît sous ses diverses formes. On voit ainsi le célèbre ténor Max Lorenz, un pilier des distributions bayreuthiennes, filer le parfait amour avec un jeune homme jusqu’à ce que des nazis abattent ce dernier sous les yeux du chanteur. L’homosexualité de Siegfried Wagner, fils de Richard et père de Wieland, est également abordée au long des dialogues.

 

Cependant, Desberg et van der Zuiden sont légers dans leur rencontre avec la culture germanique. Plusieurs mots allemands sont orthographiés de manière fausse. Tel est le cas du Völkischer Beobachter  dont la première partie devient « Völkisher ».2 Les robes rouges des magistrats ayant jugé Bodo Lafferentz, le dangereux mari nazi de Verena Wagner, ne sont apparues qu’en 1951, soit après le prononcé de cette décision de justice. Elles ont été réservées, de surcroît, aux juges du Tribunal constitutionnel fédéral, équivalent du Conseil d’État.
Nos auteurs manquent d’informations suffisantes quand ils traitent des relations entretenues par les Wagner avec Hitler. Ils ne font apparaître à aucun moment Friedelind Wagner (1918-1991), sœur de Wieland, Wolfgang et Verena. Elle fut la seule à se dresser de manière catégorique contre le nazisme et sa haine du judaïsme, au demeurant abordée chez Desberg et van der Zuiden. Protégée par Arturo Toscanini, Friedelind se réfugia en Suisse, en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis où elle ne cessa pas d’accabler le régime de la svastika durant des conférences, des interviews et des émissions de radio. Sa présence dans la BD aurait pu constituer un ressort dramatique supplémentaire.

 


Il est dommage que L’Héritage Wagner présente des invraisemblances. Wieland étant né en 1917 et Anja en 1939, il avait vingt-deux ans de plus qu’elle.3 Or, la BD ne reflète pas leur différence d’âge. Anja n’a jamais chanté Isolde à Bayreuth. Si les auteurs s’appuient sur cette prestation fictive, ils procèdent ainsi pour donner au récit une dimension très consistante. La mise en scène de Tristan et Isolde par Wieland constitua un fanal majeur de modernité du Neu-Bayreuth. Elle exaspéra les wagnériens conservateurs, déchaînant une Querelle des Anciens et des Modernes se poursuivant aujourd’hui contre le Regietheater. Enfin, Anja Silja aborda le rôle-titre de Salomé de  Richard Strauss après sa rencontre avec Wieland, non avant.

 

 


Étant un amateur de BD sans expertise digne de ce nom, sachant que la BD ne saurait avoir – par définition – la rigueur d’une activité universitaire, l’auteur du présent texte ne se limitera pas aux restrictions développées ci-dessus. L’Héritage Wagner est doté d’une indéniable fraîcheur, d’images talentueuses et d’un certain type d’humour. On le constate devant la séduction exercée par Anja sur un banquier d’origine russe ou quand on voit le jeune Pierre Boulez partager, à Paris, la table de la même Anja et de Wieland. Pour le reste, l’histoire traitée par Desberg et van der Zuiden obéit aux « forces irrésistibles de l’amour absolu ».

Dr. Philippe Olivier
6 septembre 2023

Stephen Desberg, Emilio van der Zuiden et Jack Manini (couleurs) : L’Héritage Wagner, Bamboo Édition, Charnay-lès-Mâcon, 2023.

Cette faute se trouve page 12. Le Völkischer Beobachter – soit l’ « Observateur populaire » – était le quotidien officiel du parti national-socialiste (NSDAP).

3 Selon les sources, l’année de naissance d’Anja Silja oscille entre 1935 et 1940.

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