Aussi populaire soit-il, le chef d’œuvre de Léo Delibes n’est pas souvent à l’affiche. D’ailleurs, il n’a plus été donné à Strasbourg depuis 1954.
Cette œuvre de Delibes nécessite des voix hors du commun, à commencer par celle de Lakmé. De grandes sopranos légers l’ont marqué de leur empreinte (Mado Robin, Christiane Eda-Pierre ou Mady Mesplé et bien sûr Natalie Dessay).
L’histoire : les librettistes de Delibes, Edmond Gondinet et Philippe Gille, se sont emparés des éléments typiques d’exotisme de Pierre Loti, très en vogue à l’époque, pour écrire le récit de livret de Lakmé.
Quelque part en Inde, aux temps des colonies. Tout est calme, le jasmin et les roses embaument l’air où règne une paix apparemment profonde. Lakmé, héroïne orientale est la fille divinisée d’un brahmane indompté, désabusé et fanatique qui souffle aux hindous une haine vengeresse. Lui, Gérarld est officier de cette armée anglaise victorieuse qui chasse les dieux de leurs temps séculaires. Il n’aura fallu qu’un échange de regards, aussi fugace qu’un tintement de clochettes… pour leur faire oublier le monde. Mais la réalité s’apprête à troubler leur rêve. Lakmé sanctifie, avec abnégation et courage son amour pour l’étranger, en dépit du père, mais finit par se suicider, pour le plus grand bonheur du père.
Ce soir, à l’Opéra National du Rhin, la nouvelle production de ce bijou lyrique est signée Laurent Pelly. Le chef d’orchestre Guillaume Tourniaire dirige l’Orchestre Symphonique de Mulhouse et une solide distribution de chanteurs, avec, dans le rôle-titre, la superbe et extraordinaire Sabine Devieilhe.
Sabine Devieilhe est complètement habitée de ferveur et d’intensité dans le rôle de la jeune hindoue. On admire, dès son entrée, la douceur du timbre, la légèreté des coloratures. La beauté presque éthérée des demi-teintes et des aigus filés, séduisent toujours autant, car son chant n’est jamais mécanique. L’incarnation du personnage s’est approfondie, conférant ainsi à Lakmé une densité, un sommet d’expression qui trouvent leur plein épanouissement au 3e acte dans son ultime air « Tu m’as donné le plus doux rêve ». Elle est bouleversante d’émotion. Son air des « Clochettes » est chanté avec une grande technicité : des notes bien tenues, une fraîcheur du timbre, des vocalises « à couper le souffle ». Les difficultés techniques sont parfaitement maîtrisées mais surtout, l’immense artiste trace magnifiquement, avec une grande émotion, le portrait bouleversant de la jeune hindoue qui découvre en même temps, l’amour et la trahison.
A ses côté, le ténor français Julien Behr campe un Gérald généreux et sensible. On apprécie (comme chez les autres chanteurs) le français d’une parfaite clarté et d’une belle diction. Vocalement, son timbre aurait mérité d’être plus “moelleux”, avec davantage de demi-teintes. Ses aigus sont assez difficiles, surtout quand il cherche à alléger sa voix. Mais c’est dans le 3e acte dans la cantilène qu’il est le plus convaincant.
Dans le rôle de Nilakantha (un très beau rôle pour les barytons), Nicolas Courjal a le plus déçu. Il a la carrure du rôle, mais pourquoi tant de fureurs et d’agressivités dans la voix, surtout dans son air « Lakmé, ton doux visage se voile » où l’on attendait de la tendresse paternelle. Ce n’est que vers la fin de la représentation, qu’il parvient enfin à réguler son vibrato trop accentué.
Ambroisine Ré prête sa voix grave et chaleureuse, à Mallika, suivante de Lakmé. Sa voix s’harmonise à merveille à celle de Sabine Devieilhe dans le fameux duo des fleurs « sous le dôle épais ».
Les seconds rôles n’ont pas à rougir de leurs prestations : Guillaume Andrieux incarne Frédéric, avec une belle présence scénique, un chant net et très expressif. Raphaël Brémard, protecteur et amoureux de Lakmé, trouve les accents justes mis au service d’une voix de ténor lumineuse.
La soprano Lauranne Oliva (fraîchement récompensée du Premier Prix au 5e Concours Voix Nouvelles), prête sa voix limpide, au ravissant timbre à Miss Ellen (la fiancée de Gérald). Belle prestation d’Ingrid Perruche dans le rôle de Mistress Bentson. La jeune mezzo-soprano Elsa Roux-Chamoux, au timbre bien assis, campe une Miss Rose, pétillante et cocasse à souhait.
Les Chœurs de l’Opéra National du Rhin, font preuve d’une belle endurance tant vocalement que scéniquement, réalisant une superbe performance.
Bien que la partie symphonique est peut-être moins brillante que la musique de Bizet (Les Pêcheurs de Perles), elle est cependant d’une belle richesse mélodique, avec de belles couleurs exotiques. L’Orchestre Symphonique de Mulhouse, sous la baguette bien inspirée de Guillaume Tourniaire défend la partition en couleurs de Léo Delibes avec beaucoup de brio et de passion.
De longs, très longs applaudissements saluent la magnifique représentation de Lakmé. Une immense ovation salue la prestation de Sabine Devieilhe, qui recueille tous les suffrages du public enthousiaste.