Petites histoires de la grande musique par André Peyrègne

Voici un livre qui a vocation à intéresser bien des publics. Et cela pour diverses raisons. Celui qui ne sait rien de la musique dite classique va devenir incollable sur le sujet. Le mélomane lui-même est souvent « spécialisé ». Tel amateur d’opéra ne fréquente pas en priorité la musique classique, tel autre ne jure que par le baroque, la musique contemporaine… Le livre permettra à chacun de compléter ses connaissances, de s’ouvrir sur d’autres répertoires. Quant à celui qui connaît tout ou croit connaître tout, il ne sera pas au bout de ses surprises en parcourant ce court mais substantiel opus.

L’ouvrage d’André Peyrègne est solidement construit et découpé en chapitres clairs ne bousculant pas la chronologie. Il couvre la totalité de l’histoire de la musique française mais aussi étrangère, notamment cette Mitteleuropa berceau de nombreux compositeurs. Et quand on sait que les compositeurs ont pu être d’impénitents voyageurs (à l’exception de Schubert !), on ne s’étonnera pas qu’ils nous conduisent bien au-delà. Sur l’axe du temps on part de l’Antiquité pour aller jusqu’à l’époque contemporaine, où sans doute les compositeurs sont moins à même de nourrir l’anecdote. Bela Bartók, Olivier Messiaen, Yannis Xenakis ou John Cage sont bien là (mais pas Pierre Boulez!)

Chaque chapitre est joliment écrit, ciselé, terminé sur une pointe ou un trait d’humour, incitant de façon addictive à lire la suite.

Chaque notice se fonde sur des bases diverses : la biographie, un événement, un engagement, la réception d’une œuvre, mais surtout la brièveté des notices engage à jeter des ponts, faire des comparaisons, établir des problématiques. Sans chercher à être exhaustif, on sera surpris par la surdité de plusieurs musiciens (Beethoven, Smetana, Fauré), la cécité qui en touche plus d’un (Rodrigo de naissance, mais aussi Bach et Haendel, littéralement « charcutés » par la médecine du temps), la folie qui en gagne d’autres (Donizetti, Bruckner, le chef d’orchestre Louis Jullien). Combien affrontent les coups du sort (Lully sous le poids de sa canne, Enrique Granados, mort en mer, Anton Webern abattu par erreur). Il n’y a pas en effet que notre époque qui a le privilège des morts injustes ou violentes, quand on pense à celle d’Alessandro Stradella ou de Purcell, quand le mystère continue à entourer la disparition de Bellini ou de Bizet. La vie après la mort n’est pas pour autant un long fleuve tranquille. On suit ainsi les tribulations du crâne de Haydn ou du cadavre de Paganini. De vrais micro-romans policiers !

Le contexte familial peut également intervenir. Quasiment sans famille, bien esseulés dans leur milieu : ainsi Schubert, Moussorgski, Tchaïkovski. D’autres sont dépendants d’attachements plus ou moins consentis mais utiles comme celui de Wagner auprès de Louis II de Bavière.

Le rapport à l’œuvre est plus ou moins assumé : la « Symphonie inachevée » retrouvée après la mort de Schubert, Fidelio toujours remis sur le métier, Le Prince Igor de Borodine reporté, tout comme le Requiem de Mozart ou « La Symphonie fantastique » suspendue au bon vouloir de Harriet Smithson. Madame Butterfly, Pelléas et Mélisande, deux titres incontournables aujourd’hui, accuseront les mêmes errements.

On n’oubliera pas non plus l’empreinte laissée sur l’histoire par Verdi souvent désigné comme un catalyseur de la construction de l’État italien. Quant aux représentations de La Muette de Portici d’Auber elle n’auraient rien moins comme conséquence que d’avoir déclenché la révolte qui a conduit à l’émergence de la Belgique. Prokofiev et Chostakovitch n’endosseront pas l’histoire de façon aussi lumineuse.

Le tragique n’entoure pas toutes les existences et il y a aussi les histoires qui finissent bien : Albéniz après un rocambolesque séjour outre-Atlantique (les Amériques où s’épuise le pianiste Louis-Moreau Gottschalk dans de méga-tournées), Rossini faisant reconnaître son Barbier de Séville ou ou Anton Dvořák conquis par le « Nouveau Monde ».

On aime toujours relire la « romance » de George Sand et Chopin, ou cette poignante fin de vie de Mozart courant en même temps après La Flûte enchantée, La Clémence de Titus et ce Requiem interminable qui continue à faire couler beaucoup d’encre.

Ce qui ressort de tous ces récits c’est l’inscription de l’œuvre dans un vécu parfois ordinaire, d’autres fois inattendu mais impactant, même si la transcendance de l’œuvre est toujours supérieure à ce qui la détermine.

Le livre nous aide à aller vers la musique (certaines écoutes sont recommandées), ce qui n’est pas le moindre de son mérite. À dévorer et à faire circuler.

Didier Roumilhac

André Peyrègne, Petites histoires de la grande musique, 2023,

Desclée de Brouwer, 19,90 €

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